Etape 6 : Simplon-Airolo
Du 30 mars au 3 avril 2019
Cette année encore, le point de ralliement avait été fixé chez Jean-Luc, au pied du Mont Blanc. C'est ensemble, en voiture au petit matin que nous rallions le col du Simplon, point de départ de notre GTA6. Nicolas, parti de Nice à 3H le matin même nous rejoint directement au Simplon. Quelle joie de sentir monter progressivement en nous l'excitation de la traversée! La GTA est devenue pour nous au fil des ans une sorte de parenthèse incontournable dans notre année.
L'hospice du Simplon où nous laissons la voiture est occupé et tenu depuis 1000 ans par des moines de la congrégation de Saint Bernard, comme l'est aussi celui du col du Grand Saint Bernard ou nous étions passé l'année dernière. Batisses impressionnantes, austères, immobiles et vivantes, inspirantes, accueillantes pour les montagnards, insensibles aux modes. La prière du pélerin de la montagne placardée sur le mur de l'hospice nous accueille en ce début de GTA !
Les sacs sont prêts. Ils sont beaucoup trop chargés cette année encore (15 à 16kg) . Tout a pourtant été pesé au gramme près mais l'ensemble est ridiculement lourd , comme si nous n'arrivions pas à nous libérer de ce qui pèse ! Qu'a t'on pris de superflu ? On y glisse pourtant encore le pain fraichement acheté pour toute la semaine, 800g de plus chacun! On checke une dernière fois les traces GPS, les cartes papier, les recharges de batteries, le matériel de montagne. On se répartit le matériel commun, le réchaud, la corde, la nourriture. On se barbouille de crème solaire , on teste les ARVA....
Echange de regards complices entre nous, sourires presque incrédules .... la GTA6 peut commencer ! L'itinéraire dessiné sur les cartes pendant les soirées d'hiver va devenir réalité tel un pantin désarticulé qui se met soudain debout. Quelle joie de nous retrouver en cet endroit LA, à ce moment LA, avec ces compagnons LA, et de partir pour ce voyage LA, si simple et pourtant si extraordinaire ! Que vient on chercher en montagne ? D'ou vient cet appel vers le haut ? Pourquoi tant d'efforts, tant d'envie, tant de vie, tant de risque, tant de plénitude ? Va savoir ..... A chacun son Everest !
J1 : Simplon - Monte Leone Hutte (D+ 1600m D- 900m):
Les premières pentes vers le Monte Leone au dessus du Simplon sont soutenues. On a en ligne de mire le col et le sommet du Breithorn, nos premiers objectifs de la journée (photo de G). Au loin vers l'Ouest, le Fletshorn , la pyramide du Weisshorn et les 4000 de Zermatt. Ces premiers 1300 m d'ascension nous semblent longs, plus que nous ne l'avions anticipé. Notre rythme est lent, les corps ne se sont pas encore dérouillés ni acclimatés, les esprits encore ailleurs. Nous mettons près de 4H pour arriver au sommet sur une neige qui ne dégèle pas d'un pouce malgré la soleil de plomb. Il fait froid !
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Après avoir dépassé le col et le sommet du Breithorn, nous nous engageons dans la longue traversée qui nous emmène au pied de la face sud du Monte Leone. L'ambiance vers le val dAoste au sud et au loin vers les 4000 de l'Oberland est grandiose dans la lumière déclinante de cette fin d'après midi. Nous sommes absolument seuls au monde. Les ombres qui s'allongent nous tiennent compagnie en silence. On monte, on descend, on traverse, on monte à nouveau, on redescend. La neige est dure, striée par le vent. Les couteaux mordent. L'atmosphère se rafraîchit encore. L'heure tourne. Nous sommes lents. L'ambiance est extraordinaire en cette fin d'après midi sur l'immense plateau glacière qui se confond avec le ciel. Seule la haute montagne peut procurer de telles impressions !
Parvenus au pied de la face sud du Monte Leone, il nous faut remettre les peaux une dernière fois pour gravir la pente vierge et raide qui nous permet d'atteindre l'arête sommitale . L'arrivée sur l'arête au moment du coucher du soleil est grandiose mais peu engageante. Le haut de la face Nord sur l'autre versant que nous devons maintenant descendre n'est pas engageante (!): raide, austère, bombée, en mixte délicat, et non skiable. Lorsque nous nous retrouvons tous les 4 sur l'arête, la déception passée, les réactions sont diverses ! Il faut gérer la fatigue et la tension. Nous sortons crampons, piolet et corde et partons à la recherche du meilleur passage dans cette face compliquée. Faut il tirer des rappels ? Le jour décline rapidement ! La lumière est de plus en plus belle. Confusion des sentiments.
Après avoir longé un peu de l'arête W dans une ambiance féerique (photo ci dessus), nous devons plonger droit dans la face sombre et raide (bon 50° au départ). Les silhouettes sur l'arête semblent encore danser avec la lumière du couchant mais le ballet est en train de s'achever. Le soleil disparait exactement au moment où Nicolas s'engage dans la pente, assuré par Jean Luc. La pénombre gagne. Thierry et Antoine encore sur l'arête ne sont pas loin. Il nous faut près de 2 heures et quelques manoeuvres de corde pour atteindre la rimaye dans une ambiance aérienne. Tout en bas, on devine sur un ressaut dans la pénombre l'endroit où est situé le refuge au pied du glacier. Cela nous semble encore très loin. La descente va être longue ! On sort les frontales. Il va falloir batailler.
La nuit est presque complète lorsque nous nous retrouvons au pied de la rimaye en bas de la partie raide de la face. Il nous reste 700m de glacier à descendre dans la nuit sans lune. Nous rangeons le matériel de montagne, rechaussons les skis et entamons cette descente insolite. Les faisceaux des frontales qui tourbillonnent au gré des virages envoient des éclairs et font vivre la nuit. De jour, la descente de ce glacier doit être rapide et aisée. Dans ces circonstances, c'est un peu différent. Impossible de s'encorder pour une telle descente, ce serait beaucoup trop compliqué à gérer et même dangereux. Heureusement il n'y a pas de brouillard et la nuit est claire ! Des milliers d'étoiles illuminent le ciel au dessus de nous ....Nous nous accrochons telle une bouée à la trace GPS que nous avons préparée. Devant, le premier des skieurs tente de garder le cap et d'éviter les crevasses . A intervalle régulier, on s'interpelle : 'Stop, Point boussole & GPS , OK... tout va bien on continue' , 'Stop , Point boussole&GPS, OK, tout va bien on continue !'
Chacun de nous garde en vue le faisceau de la frontale qui le précède et qui danse dans la nuit .... notre équipée ressemble à une armée de feux follets hésitants sur la grande pente blanche du glacier du Monte Leone. L'altimètre descend lentement : 3300, 3100, 2950, 2800m .... nous arrivons enfin à notre point bas sur le lac gelé qui marque le pied du glacier. Reste à trouver la pente d'accès au refuge parmi les barres rocheuses. Pas si facile dans la nuit ! Nous poussons finalement la porte du petit refuge .... à 21H15 ! .. Par chance, la cabane est chaude car 3 alpinistes arrivés dans l'après midi passent la nuit au refuge et ont allumé le petit poele. Quelques bougies alliumées sur la table éclairent la pièce unique et nous accueillent comme si nous entrions dans un palais ! Nous sommes heureux d'être la ! Il nous aura fallu près de 3H30 pour descendre de la crête du Monte Leone dans la nuit et atteindre le refuge. Un bon exercice d'orientation ! Nous sommes fatigués par cette première journée intense et forte en émotion.
Les soupes Royco nous semblent délicieuses. Elle nous aident à nous réhydrater rapidement. Malgré la faim, Les plats lyophilisés nous resteront sur l'estomac. Probablement ne savons nous pas les cuisiner ! Le moral est variable entre les membres de l'équipe. Un peu dure cette première journée ! Vivement la couchette et les couvertures pour se lover dans un sommeil réparateur et laisser les efforts de la journée sédimenter doucement. Il faut récupérer. Une grosse étape nous attend déjà demain vers l'Italie ! Quelle plaisir de rentrer dans la GTA avec une telle intensité et dans une telle ambiance ! !
J2 : Monte Leone Hutte - Rifugio Castoglione (D+ 1300m - D-2400m)
Le lendemain, on fait la 'grasse matinée' après notre grosse étape d'hier. Les compagnons d'un soir qui nous avaient accueilli avec les bougies sont déjà partis vers le sommet du Monte Leone lorsque nous nous levons vers 6H30. La nuit a été globalement réparatrice même si la nature nous a fait inégaux devant le sommeil en montagne! Nous préparons un peu d'eau , de thé et partageons un cake aux fruits. Ce sera ça de moins dans le sac à porter ! On range rapidement le refuge, on referme les volets et nous sommes prêts à partir. Grande étape en perspective moins technique que celle d'hier mais piégeuse car très longue avec plusiers passages assez délicats. Le temps est magnifique lorsque nous quittons la cabane. Face à nous, la belle face Nord du Monte Leone que nous avons descendue hier dans la nuit nous nargue un peu (photo ci dessous derrière JL). Ca semble bien raide ! Elle fait déjà partie des souvenirs. La nuit a passé de la pomade sur les efforts de la veille et les inquiétudes de certains. La GTA continue ....
Le passage du Chaltwasserpass n'est pas facile à trouver dans un dédale de barres et de couloirs. Heureusement le temps est clair et la visibilité parfaite. Par mauvais temps, ce serait une autre affaire. T et JL essayent différents passages peu engageants dans l'axe du col, hésitent à se lancer dans un couloir raide et étroit mais rejoignent finalement A et N qui de leur coté étaient allés inspecter la rive gauche coté soleil. C'est bien raide et un peu impressionant au début, mais ca passe (Photos ci dessous). C'est la bonne option. Le chemin d'été est lui situé sur l'autre versant dans les barres en remontant des échelles !
La suite du vallon est traversé par les avalanches en versant sud qui rendent la descente à flan un peu difficile. Il nous faut franchir ces coulées une par une en perdant le moins d'altitude possible ! Nous sommes absolument seuls dans cette immense vallée sauvage qui descend vers l'Alpe Veglia. Après l'austérité du haut du vallon, la pente s'adoucit en perdant de l'altitude. Nous slalomons bientôt entre les Mélèzes éparses sur une neige légèrement transformée. Un pur bonheur ! On se croirait un peu dans les Alpes du sud ! On a basculé en Italie...
L'atmosphère est particulièrement bucolique lorsque nous arrivons à L'Alpe Veglia, véritable havre de paix dans une atmosphère de bout du monde. Nous passons par un hameau endormi sans âme qui vive, apercevons un peu plus haut une petite chapelle sortant de sa torpeur et traversons un torrent grossi par la fonte des neiges ... En remontant sur l'autre versant pour poursuivre notre route, nous passons devant le refuge d'Arona avec son crépi jaune et ses volets rouges qui semble figé lui aussi. immobile. En se retournant, on distingue au loin le long vallon que nous venons de descendre issu du Chaltwasserpass et tout au fond, l'arête ou s'accrochait notre refuge derrière le sommet du Wasenhorn. Que de chemin parcouru déjà !
En quittant l'Alpe Veglia, notre traversée se poursuit vers l'Est par une montée douce et régulière au milieu des Mélèzes en direction du passo di Vallendra. Nous ressentons l'isolement dans ces immensités bleues, blanches et ocres. Le silence est partout. Il nous enveloppe. On croise quelques traces hésitantes d'animaux sur notre route. Les seuls bruits perceptibles sont les crissements des skis sur la neige et le souffle des skieurs. Chaque pas est lent, pesé, réfléchi .... préparant le suivant et le suivant derrière. Nous sommes envahis par la simple beauté de ces moments. Nous nous suivons à distance l'un de l'autre, peut être pour préserver l'intimité avec la montagne dans laquel chacun s'est lové en ces instants. Il n'est question ici ni de performance, ni de difficulté, ni d'ambition, ni de sommet, ni d'effort. Juste la joie intime de vivre et partager la montagne en pleine conscience, pas à pas. Aucun d'entre nous ne ressent l'envie de prononcer un seul mot. Nous sentons le caractère incomparable de cet espace-temps .... Seule une traversée au long cours comme celle que nous vivons peut procurer de telles sensations. Miracle de la GTA !
Après cette longue montée enchanteuse, le dernier verrou pour atteindre le col est soudain plus ardu (ci dessous photo du milieu) . Retour à la réalité ! Il nous faut changer d'état d'esprit et de rythme . Nous évitons les pentes nord traversées par des coulées, et attaquons directement dans la pente raide vers le col avec les couteaux. Les conversions s'enchainent pour avaler ces 400m de dénivellée qui nous séparent du col ! Le soleil chauffe la neige et les skis bottent. Le groupe s'éparpille au fil de la montée dasn des zigzag serrés tels des cyclistes du tour de France dans un col des Alpes. Chacun son rythme. Surtout ne pas se mettre dans le rouge car la journée est encore longue ! Faire corps avec le sac et s'économiser ! La Cima di vallendra juste au dessus sera pour une autre fois ! Les mauvaises pentes sud qui suivent nous obligent à ne pas trainer car le soleil fait son travail de sape... et il faut que la neige tienne.
En quittant le col, nous descendons d'environ 200m vers l'est à flanc de coteau pour contourner un éperon rocheux, puis remettons les peaux de phoque en équilibre dans une pente raide pour gravir la face au dessus, pentue, exposée, en plein soleil (!) vers la scata d'Orogna. Il est 15H, la neige complètement transformée porte mal. Elle est ttrop molle et peut probablement partir à tout moment. Les batons s'enfoncent parfois jusqu'à la garde ! Ca fait froid dans le dos ! On s'engage dans cette pente en posant chaque pas avec prudence, une fois, deux fois. Ca tient ? Nous essayons de nous faire le plus léger et rapide possible en cherchant les parties de la face qui ont été les moins exposés au soleil. On reste à distance respectable les uns des autres au cas ou une couée viendrait à partir. C'est avec soulagement qu'on bascule sur un petit plateau moins exposé après la rude montée. La suite, dans une belle ambiance, est moins délicate jusqu'à la Punta di Orogna avec une neige plus stable.
Au sommet de la Punta D'Orogna, l'horizon s'ouvre vers le Sud. Au loin, on devine le début des sommet des Dolomites di Brenta et peut être la brume au dessus du lac de Lugano. Les gigantesques pentes devant nous sont une invitation à la liberté et au voyage! L'immense vallon de Devero sous nos yeux s'étire sur 1500m de dénivellée et une dizaine de km de long vers l'Alpe Devero ou nous allons dormir ce soir. L'impression de solitude est saisissante dans une pareille immensité. La neige durcie par le froid porte parfaitement. Nos dévallons ces pentes à grande vitesse en dessinant des arabesques mystérieuses. Instants merveilleux ! Notre petit groupe s'étire dans l'immensité du vallon avant de se retrouver comme des abeilles au resserrement de la vallée lorsqu'elle bifurque au sud vers l'Alpe Devero.
La fin de la descente est un peu plus complexe à négocier dans des pentes raides qui manquent de neige au milieu des rhodos et des arbustes. qui ont envie de fleurir. Au loin on apercoit une piste de ski en versant nord, sans skieurs, paradoxe de notre civilisation consumériste ! Tout cela nous paraît incongru ! Nous devons déchausser sur quelques centaines de mètres et jongler avec les langues de neige finales. Il nous faut encore traverser l'immense étendue de neige de l'Alpe Devero , remonter un peu et se mouiller les pieds dans un torrent sans pont de neige pour arriver vers 18H au Rifugio Castiglioni après une extraordinaire journée de traversée. Des bières fraîches nous attendent. Nous mangerons des pâtes pour le dîner. Nous sommes seuls au refuge encore ce soir ! Tutto Bene. Le bonheur est total !
J3 : Rifugio Castiglione - Mittleberg Hutte (D+ 1800 - D- 1200)
L'itinéraire que nous visons aujourd'hui est grandiose. La cime de la Punta d'Arbola sera le point d'orgue d'une longue marche d'approche puis d'une ascension magnifique se jouant du relief des versants Sud et Ouest de la montagne que nous allons garder en point de mire toute la journée. 1800m de D+ avec nos sacs de 15kg, ça commence à être sérieux. On se lève tôt, la journée promet d'être longue.
Nous démarrons depuis le refuge en suivant la trace d'une petite route envahie par la neige. Après une heure de marche facile, nous arrivons au petit hameau complètement isolé de Crampiolo. On nous avait parlé d'un petit Agriturismo de rêve dans ce hameau. L'endroit semble il est vrai assez idylique. On viendrait bien y séjourner quelques jours : sieste, farniente, montagne, soleil et pâtes fraîches ! Ce sera pour une prochaine fois. Aujourd'hui, nous ne faisons que passer et continuons vers le lac de barrage du Devero que nous longeons par la rive gauche. Tout au fond la Punta d'Arbola commence à apparaitre à l'horizon, objectif de notre étape du jour (Ci-dessous photo de D)
Le site du lac de barrage est imposant, immense, adossé aux paroies. Le sentiment de solitude n'en est que plus intense. Le niveau du lac est bas à cette époque avant la fonte des neiges. Après avoir perdu un peu de temps et d'énergie en tentant de rester sur la berge rive gauche dans la forêt, nous traçons directement sur le lac gelé. Au fond, la Punta d'Arbola, objectif de la journée, domine fièrement. Elle parait encore très très loin et nous sommes pris par un petit moment de doute lorsque nous rejoignons la berge et quittons l'immensité du lac. L'effet de groupe joue à plein et ne donne pas prise à cette inquiétude. Que les distances sont grandes pourtant ! Il nous reste encore 2 cols et 1600m à gravir !
La pente se redresse doucement à la sortie du lac. Cela fait déjà 3H que nous avons quitté le refuge, et nous commencons à peine à grimper! A partir de ce moment, Il nous faut d'abord rejoindre le col des contrebandiers (tout un programme derrière ce joli nom qui nous replonge dans d'autres époques) 600m au dessus. Le soleil a commencé à transformer la neige en surface et la montée est agréable. Pas besoin de couteaux malgré la raideur de la pente ! Arrivé au col des contrebandiers (Photo du milieu ci dessous) on distingue de l'autre coté la Binntal qui s'enfonce au loin vers la vallée du Rhone. Derrière le col, nous pénétrons dans un vallon suspendu (photo D ci dessous) qui nous emmène par un couloir raide vers l'Eggerscharte 500m au dessus (ci dessous photo de D)
L'impression d'isolement est fort en gravissant le couloir vers l'Eggerscharte pass. La pente terminale est très raide et la neige difficile ! Ca passe a ski ... mais c'est très très limite. Le col lui même est un petit trou de souris qui permet de basculer vers la pente somitale de la Punta d'Arbola. Il faut redescendre à pied ou à ski par une pente raide un peu scabreuse (Photo du milieu ci dessous). La fatigue commence à se faire sentir. On a déjà 1400m dans les pattes et 7H d'ascension. On fait une pause, on s'hydrate, on avale quelques fruits secs avant de s'engager dans la pente terminale vers l'arête et le sommet. Encore 400m à gravir ! Nous manquons d'eau. La fin se fera au mental !
La pente sommitale du gacier de la Punta d'Arbola est raide mais n'est pas difficile. Juste avant de commencer à longer l'arête sommitale, nous passons un petit collet d'ou la vue est particulièrement belle vers l'Italie dans une lumière un peu laiteuse. Pendant toute la fin de l'ascension, on garde en point de mire derrière nous, tout en bas, le lac de barrage du Devero que nous avons traversé ce matin (Photo ci dessous à D). Il paraît vraiment très loin. Chacun gère son effort.
L'arrivée au sommet est magistrale. Cela fait plus de 9H qu'on est parti du refuge ce matin ! On ne fera pas les tout derniers mètres qui nous séparent du sommet car il est déjà tard et il nous faut basculer sur l'autre versant pour traverser le glacier de Sabbione et rejoindre le refuge de Mittleberg. Le temps se couvre peu à peu. Le coucher du coucher du soleil sera malheureusement estompé par les nuages ce soir ! Nous rangeons les peaux de phoques, les couteaux et nous engageons dans une belle descente. Le début sur l'arête est raide et particulièrement esthétique vers le glacier et l'Italie (Photo ci dessous à G et au milieu). En contrebas on distingue plusieurs lacs de barrage italiens non loin des refuges Margaroli et Maria Louisa.
Un petit passage pentu dans le bas du glacier ( Ci dessus à D) nous demande de rester attentif en cette fin de journée avant de ttrouver le passage sur la crête. vers le Passo del Sabione. La passo lui même est une jolie brèche étroite qui permet de basculer dans la face vers la Mittleberg hutte. La descente est belle avec alternance de de beaux passages de poudreuse encore légère et de longues traversées. L'arrivée sur le refuge n'est pas vraiment évidente dans la pénombre naissante car la cabane est complètement cachée en arrivant de l'Est. Deux piquets rouges fluos bienvenus, plantés sur une brèche nous aident à trouver le passage vers le refuge. Nous apprendrons qu'ils ont été installés à la suite à un accident dramatique en 2018 de 2 jeunes sans GPS qui ne trouvant pas le passage vers le refuge dans la tempête, ont passé la nuit nuit à 50 m du refuge du mauvais coté de l'épaue et sont morts de froid.
Nous arrivons tard à la Mittleberg Hutte après une journée grandiose et ambitieuse. Le refuge est tout petit, confortable, perché au dessus de la Binntal. Tout est propre et rangé à l'intérieur. Nous ne sommes plus en Italie ! Ce soir, nous mangerons et dormirons bien après cette grosse journée. Cette nuit, nous partageons le refuge avec 2 suisses et un allemand avec qui nous referons un peu le monde. Les prévisisons météo ne sont pas bonnes pour les jours à venir. Le temps devrait basculer à partir du lendemain midi. Nous réfléchissons aux alternatives d'itinéraire car la neige devrait tomber en très grosse quantité sur le sud de la Suisse! Les couleurs du coucher depuis le refuge sont délicates. On sent le changement de météo qui pointe vers l'ouest. Le froid mord.
J4 : Mittleberg Hütte - Corno Gries Hütte (D+ 1300m - D- 1500m)
Levé et départ très matinal de la Mittleberg Hütte . L'étape prévue aujourd'hui est longue et on aimerait gravir le sommet du Corno Cieco puis faire la traversée vers le refuge Corno Gries avant l'arrivée de la tempête. On sa lu dans les topos que le passage du CornoGriess pass par mauvais temps pouvait être très très piégeuse. Pas mal d'incertitude donc au moment d'entamer notre journée ! On doit marcher vite ce matin pour tenir l'horaire et ne pas se faire piéger par la neige. Les couteaux crissent sur la neige gelée. Au bout de 4 jours de traversée, les corps se sont acclimatés, les sacs pèsent moins sur les épaules, la montée est rapide .....On traverse à flanc jusqu'à une moraine caractéristique puis on attaque dans la pente en direction du Hohsandhorn.
Après une bonne heure de marche, catastrophe ! Nicolas s'aperçoit qu'il a n'a plus son piolet sur le sac, probablement oublié ce matin au refuge. Impossible de poursuivre la traversée sans. On met rapidement au point un plan. Thierry, Antoine et Jean-Luc vont poursuivre vers le Hohsenhorn en se relayant pour porter le sac de Nicolas tandis que lui va faire l'aller retour au pas de course vers le refuge sans sac et nous rattraper vers le sommet. Il nous reste 450m à gravir ! Imprévus de la montagne !
Cette péripétie est ennuyeuse à cause de la petite fenêtre de beau temps que nous avions pour franchir les cols et faire le Corno Cecco avant l'arrivée de la neige ... Il va probablement falloir changer les plans ! On se relaye pour porter le sac de Nicolas ! C'est lourd ! Nicolas de son coté a un petit coup de stress mais nous retrouve finalement sous le Hohsandhorn. Il a bien marché ... et il a récupéré le piolet. On le voit arriver au col sur la photo en bas à G. Les nuages sont en train de gagner du terrain. Au fond (photo du milieu) on voit le Corno Cieco déjà dans les nuages que nous voulons gravir . Il nous faut d'abord redescendre jusqu'au refuge Claudio Ebruno avant de remonter vers le sommet par derrière sur une jolie langue glacière.
Le mauvais temps nous surprend en arrivant non loin du refuge e Bruno ... plus tot que prévu donc. Il est à peine 11H. Le brouillard joue à cache cache avec le soleil et la neige se met à tomber. La montée raide vers le Blinnenhorn / Corno Cecco se fait dans une ambiance hivernale. Le froid pointe. Lorsque nous arrivons sur la crête à 3200m juste sous le sommet, c'est la purée de pois ! Inenvisageable et surtout sans intéret de poursuivre vers le sommet. Il faut désormais sortir les GPS et s'engager dans la longue traversée vers le Corno pass et plus bas vers le refuge.
La descente du Gries Gletsher sans visibilité est assez délicate. On va se coller rive droite à la paroie rocheuse du Rothorn pour faciliter l'orientation. Heureusement le glacier est bien bouché. On checke l'altitude en permanence ne pas se laisser pieger par la zone crevassée de la chute du glacier. On devrait apercevoir le lac de barrage du Gries see mais tout parait blanc et identique dans ce satané brouillard. La neige tombe et masque toutes les traces qui auraient pu nous aider à nous orienter. Soudain on apercoit l'avant du barrage, le lac gelé devant et deux ou trois éoliennes qui semblent toutes petites. L'ambiance est assez fantasmogorique ! Nous n'avons aucune conscience des échelles dans cette méteo sans repère. En fait les distances sont très importantes. A droite au dessus de nous le Gries Pass, pour replonger vers l'Italie, plus loin vers l'Est dans le brouillard le Passo del Corno qu'il faut gravir. Sur la carte ça parait simple, dans le brouillard et la neige, sans aucune trace, beaucoup moins. On traverse dans des pentes inconfortables et exposées. Il faut remettre les couteaux. On aurait peut être du descendre sur le lac et remonter directement dans la combe !
Le passage entre le Corno Gries pass et le Passo del Corno est délicat dans une neige poudreuse instable. On se relaye pour la trace dans ce passage pénible en dévers. Il neige à gros flocon et on a du mal à distinguer le skieur devant soi tant le brouillard est dense. Celui d'entre nous qui fait la trace ne sait pas trop si il monte ou si il descend. C'est une impression toujours étrange en montagne, un peu angoissante. Il nous faut du temps pour atteindre enfin le Passo del Corno. On rajoute des couches de vêtements car la meteo se détériore à vue d'oeil, on protège un peu mieux les sacs, on fait un point d'orientation pour être certain de notre position et on repart doucement vers le refuge Corno Gries en suivant le long du vallon. Le manque de visibilité rend la descente un peu hasardeuse. L'arrivée sur le refuge au GPS dans le brouillard est un peu suréaliste car il apparait tel un OVNI venu de nulle part avec son architecture futuriste. Pas forcément fana ! Il fait chaud dans ce refuge gardé, confortable , bien rangé, propret, suisse, .... à défaut d'être chaleureux.
Nous passons neanmoins une belle soirée amicale à parler ensemble de choses intimes que nous avons pu vivre en montagne, souvenirs douloureux ou heureux ayant marqué nos vies au fer rouge . Montagne quand tu nous tient ! Nous réfléchissons aussi à la suite du parcours. Les quantités de neige qui tombent sont très impressionnantes. Ils annonce plus de 1m de neige en 24 H sur la région et donc une situation exceptionnellement avalancheuse à court terme. Nous savons qu'il sera impossible de poursuivre vers le refuge Rotondo puis le refuge AlbertHeim comme nous l'avions prévu. C'est beaucoup trop exposé et raide. Plusieurs options sont envisagées, discutées, débatues. L'approche du risque en montagne varie d'un individu à l'autre ! Nous repoussons à demain matin notre décision en fonction de l'évolution de la méteo. On la pressent déjà tous en s'endormant !
J5 refuge Corno Gries - Airolo (D- 1000)
Excellente nuit dans ce refuge confortable emitoufflé dans sa ouate de neige. Les baies vitrées du refuge nous font profiter au chaud de la tempête extérieure qui a soufflé toute la nuit. Le soir un petit renard etait venu frappé à la fenêtre du refuge, probablement un peu désorienté par l'énorme quantité de neige en train de recouvrir les pentes. Au petit matin, il neige toujours aussi dru et la visibilité est nulle. Nous regardons les prévisions méteo qui annoncent encore 36H ininterrompues de neige sur la Suisse centrale et notre massif en particulier. Nous avions envisagé hier soir une solution alternative plus accessible que le Rotondo par le refuge Maria Louisa au pied du Basodino mais l'évolution de la météo rend désormais cette option inenvisageable. Il faut nous rendre à l'évidence, ce massif est devenu beaucoup trop dangereux et va l'être pour les 48H à venir au moins. Il faut redescendre. La décision de redescendre vers Airolo de l'autre coté du Nufenenpass est prise la mort dans l'âme.
Le départ du refuge est assez impressionant dans le blizzard et de la neige poudreuse jusqu'au au dessus du genou quand les pentes ne sont pas soufflées par le vent. Il parait que l'endroit est un havre de paix lorsqu'il fait beau. Il faudra revenir pour vérifier. La descente qui devrait être une formalité est plus compliquée qu'il n'y parait. Il faut pousser dans les descentes, brasser dans les montées. Thierry fait la trace en partant du refuge.
On essaye de faire bonne figure mais skier dans ces conditions avec 15kg sur le dos est compliqué. Nous naviguons au GPS pour trouver notre chemin dans un vallon ou la visibilité est nulle. Les pentes sont des pièges ! La route que nous rejoignons après le Nufenenpass est même difficile à distinguer tant la quantité de neige est importante. Nous la suivons tant bien que mal en glissant comme nous pouvons. Dès l'instant où nous rentrons dans la forêt, la visibilité devient meilleure et le paysage moins austère avec ses arbres blanchis.
L'arrivée à AlAqua au fond du Val Bredetto où nous étions censés trouver un bus postal pour nous amener à la gare d'Airolo est tout à fait étrange. Le dernier bus est monté ce matin sur une route enneigée mais les suivants ont été annulés. Trop de neige et surtout trop de neige prévue pour les heures à venir ! L'endroit est inaccessible et désert. Nous trouvons un taxi qui accepte de venir nous prendre un peu plus bas dans la descente avec des équipements spéciaux et nous emmener jusqu'à Airolo. Les refuges AlbertHeim et du Rotondo ou nous devions séjourner les jours prochains nous envoient des messages pour nous informer qu'ils seront fermés (!) compte tenu des quantités de neige tombées et de la dangerosité des conditions météo ! Diable !
La GTA 6 se termine sur un sentiment d'inachevé malgré la splendeur de nos jours de traversée. Il faut digérer notre déception. Il faut accepter de redescendre sur la terre ferme alors que nous étions partis pour rester suspendus pendant encore au moins 2 ou 3 journées. C'est la loi de la montagne. Nous la connaissons tous. Malgré les conditions climatiques très difficiles, la décision d'abandonner a donné lieu à des discussions enflammées entre nous. En fait nous n'avions pas d'autre choix.
Il nous faut quelque temps dans le train entre Airolo et Andermatt, puis Andermatt, Realp et Brig pour que les langues se délient et que les sourires reviennent. Nous reparlons ensemble des jours que nous venons de vivre, de la richesse de ces moments uniques, des échanges, des sommets gravis, des projets, de l'année prochaine et des courses à venir .... Formidable GTA !
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