Etape10 : Sölden - Lienz
La dixième et dernière étape de notre Grande Traversée des Alpes s'est déroulée au printemps 2024 en Autriche et en Italie à travers le Tyrol et la Carinthie. Au cours de ce long raid de dix jours (128km, 12800m de D+) nous avons traversé successivement les Stubaier Alpen, les Zillertaler Alpen et le parc national des Hohen Tauern . Ces massifs, très peu fréquentés en hiver, nous ont laissé une grande impression d'isolement et d'engagement. Nous sommes partis à trois pour cette dernière étape, Thierry, Nicolas et Jean-Luc, et pour la première fois depuis le départ de la GTA il y a 10 ans, l'un de nous a abandonné en cours d'aventure; Nicolas en petite forme dans la tête a décidé au bout de 3 jours de redescendre et repartir pour la France laissant Jean-Luc et Thierry poursuivre seuls la traversée jusqu'en Carinthie pour parachever la GTA10 et avec elle le projet de la Grande Traversée des Alpes.
Les itinéraires que nous avions préparés pour cette GTA10 se sont avérés alpins, engagés, souvent délicats et les retraites particulièrement piégeuses par mauvais temps. Nous avons rencontré des conditions méteorologiques et nivologiques très compliquées: météo médiocre pour débuter avec une neige incertaine, puis une période de beau temps salutaire après le départ de Nicolas suivie par une période dépressionnaire intense avec de très grosses accumulations de neige et une nivologie dangereuse. Il a fallu utiliser notre longue expérience alpine et faire preuve de pas mal de résilience , de réactivité et d'un brin de culot pour pouvoir achever cette traversée.
J1 : Gries am Öztal- Amberger Hütte (D+700)
Après un long périple depuis la France par divers moyens de transport, nous nous sommes retrouvés tous les trois à la frontière du Liechtenstein pour terminer le voyage ensemble en voiture vers la région d'Innsbrück où nous avons parqué la voiture jusqu'à notre retour 10 ou 12 jours plus tard. De là, c'est en taxi que nous ravons rejoint le point de départ de la GTA10 à Gries, petit village à l'ouest du massif des Alpes de Stubai.
Pendant la montée vers Gries, le chauffeur nous montre les dégats considérables causés par la tornade de l'automne dernier sur les forêts de l'Öztal. Le paysage ressemble à un mikado géant, avec des milliers de troncs d'arbres jetés à terre dans un carpharnaum indescriptible partout où est passée la tornade , un véritable carnage. L'après midi est déjà bien avancée lorsque le taxi nous dépose enfin au bout de la route escarpée qui remonte la vallée du Suztal. Le ciel est maussade. Nous sommes soulagés d'être enfin à pied d'oeuvre pour le départ de cette traversée. Il y a tellement d'heures de travail et d'incertitude avant un tel périple que l'instant du départ semble parfois un peu irréel. Comme souvent dans ces moments, la joie de partir est mêlée à un faisceau d'inquiétudes et de doutes. La montagne sera t'elle clémente avec nous pendant ce raid ? Sommes nous assez préparés ? Que vaut l'itinéraire que nous avons tracé ? Dehors, il ne gèle pas mais nous ressentons le froid du vent et l'humidité qui nous transpercent. Nos sacs à dos pourtant préparés avec soin semblent démesurément lourds (autour de 20 kg), prêts pour au moins 10 jours de raid en autonomie. Le torrent qui descend de la haute vallée nous enveloppe de sa musique tumultueuse. Nos corps et nos têtes sont encore engourdis par le long voyage depuis la France, silencieusement inquiets par l'incertitude des jours à venir. Les sommets au loin se fondent dans le ciel gris alors que la neige et les glaciers se perdent dans le brouillard.
Nous chaussons les skis sur la piste de ski de fond qui serpente le long du torrent en s'enfoncant vers le fond de la vallée de Sulz. L'itinéraire du jour est court, à peine 700m de dénivellée et 7km à gravir jusqu'à Amberger Hütte où nous avons prévu de dormir ce soir, un des seuls refuges gardés de notre périple. La neige mouillée humidifie nos peaux de phoques qui s'alourdissent au fil des pas. Ces premiers instants de raid sont importants car ils permettent d'évaluer les sensations, et de peaufiner les réglages : ajustement des bretelles de sacs, serrage des chaussures, adaptation de l'équipement, cadencement du pas en fonction de la forme de chacun et surtout mise des esprits au diapason de l'effort en montagne. La pente est douce en ce début de raid . Notre pas est lent.
La marche est un peu fastidieuse sur le chemin en pente douce qui semble ne pas finir. La nuit nous prend presque par surprise pendant la montée comme si nous n'avions pas réalisé à quel point nous étions lents. Nous retardons l'utilisation de nos lampes frontales sur ce chemin sans difficulté , peut être pour mieux rentrer dans notre raid dans le silence de la nuit. Nous ne les sortons que pour gravir les dernières pentes , juste avant que la lumière du refuge n'apparaisse au détour d'un virage. Il est 19H30 lorsque nous poussons la porte de Amberger Hütte à 2100m d'altitude, en plein service du dîner . Le gardien que nous avions prévenu de notre arrivée tardive, nous installe à la hâte dans l'annexe du refuge en compagnie de 3 alpinistes italiens. Nous sommes presque décontenancés de voir tant de monde. Ce sera notre dernier bain de foule (relatif) avant la grande solitude des massifs à venir. La soirée nous donne l'occasion de rencontrer un petit groupe de francais , surpris de nous croiser ici, installés avec leur guide pour une semaine de rando en étoile autour du refuge. Demain, eux vont rester au chaud car la météo n'est pas bonne. Notre philosophie est différente. Nous partirons pour la première grosse étape de la GTA10 avec 4 cols à passer et 1700 m de D+ à avaler.
J2 : Amberger Hütte - Hidesheimer hütte (D+ 1700 - D- 1000)
Nous sommes les premiers à quitter le refuge au matin de J2 sous un ciel bas en direction du glacier de Sulztal. Nous nous sentons en petite forme : Thierry un peu malade n'a rien avalé depuis hier soir, Nicolas qui n'est pas retourné en montagne depuis plusieurs mois n'a pas de bonne sensations et Jean-Luc est préoccupé par les prévisions météo. Il gèle à peine lorsque nous traversons le long plat de InderSulze après la légère descente au sortir de la cabane. Rapidement, Jean-Luc se rend compte qu'il a oublié ses crampons au refuge (Arrrgh!) et il doit faire un aller retour rapide pour les récupérer. Une petite heure de perdue ! Nous payerons cher cette erreur le soir dans la nuit à la recherche de Hildesheimer Hütte dans le brouillard au milieu des barres rocheuses. Le ciel est gris en ce début de journée et les prévisions annoncent une dégradation au fil de la journée. Le fond de la vallée apparait par intermittance à travers les nuages. On distingue la glace bleue du glacier du Windacher, les sommets des Stubaier Alpen occidentales et au loin le Wutenkarstl que nous devons traverser, premier col de la journée 1100 mètres au dessus du refuge. Après une longue montée, nous basculons sur le glacier du Wütenkarferner dans une ambiance un peu fantomatique et peinons à trouver le bon passage vers Warenkarsharte à 3250m, deuxième col de la journée.
Arrivés au col , la descente qui suit est raide et impressionnante avec des pentes qui plongent vers le Warenkarferner. Nous ne savons pas trop par où passer. Après un moment d'hésitation, Jean-Luc s'engage vers le Nord par une longue traversée descendante dans une pente de plus en plus raide, passe un premier verrou grâce à une série de virages serrés, puis un deuxième, poursuit sa descente à la recherche du plus juste passage. La neige inégale et meuble de ce versant Est provoque des départs de coulées sur notre passage. Après un enchainement de zigzags dans les barres , on débouche sur un couloir raide qui s'élargit comme un entonnoir jusqu'au plat du glacier (Photo ci dessous à G). C'est avec un certain soulagement que nous atteignons le glacier ! Les sacs nous paraissent soudain bien lourds, peut être à cause de l'influx que nous avons laissé dans ce passage. Thierry n'a toujours rien pu avaler de la journée! .... Nous poursuivons notre route en dessinant un grand arc de cercle sur le glacier Warenkarferner .
Les 300 mètres de montée vers le Eisjoch nous semblent interminables. La fatigue commence à se faire sentir avec déjà plus de 1500m de D+ au compteur depuis le début de la journée dans une meteo opressante ! La neige redouble d'intensité. Le vent ne nous accorde aucun répis. Le froid se fait plus vif. La lumière commence à baisser. Nous pensons le refuge à portée de skis, ce qui est une erreur. La trace GPS que nous avons préparée pour accéder au refuge en suivant grosso modo le chemin d'été est beaucoup trop exposée pour passer en hiver dans ces conditions de neige.
Nous descendons donc d'abord dans une combe .... puis essayons de traverser à flanc pour accéder au pied du piton sur lequel est situé le refuge. La pente devient rapidement beaucoup trop dangereuse pour pouvoir poursuivre. Il faut changer d'option. Nous savons que la cabane est proche, 150 mètres au dessus de nous, quelque part à portée de skis, si près sur la carte, si loin pourtant. Nous sortons les frontales car la nuit est tombée entre temps ce qui ne nous plait guère ! Il convient désormais d'improviser et s'en remettre à notre sens de la montagne pour trouver le bon passage vers le refuge. Nous ne sommes pas vraiment pas sereins. Ce sont des moments où le mental prend le pas sur le physique. Jean-Luc met les couteaux et monte dans un couloir pensant trouver une sortie par le haut, il franchit une petite épaule neigeuse raide, monte, hésite, traverse, puis renonce et redescend. L'idée d'un bivouac forcé commence à germer en silence dans nos esprits sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Nicolas reste en arrière ce qui est inhabituel dans ce genre de situation délicate. Thierry, malgré son manque d'alimentation pendant la journée trouve l'énergie pour s'engager dans une nouvelle tentative en revenant légèrement en arrière , il s'élève pas à pas vers une crête dans une zone en mixte. On distingue le faisceau de sa frontale qui balaye le brouillard, monte et s'éloigne. Il réussit à passer. Nous le rejoignons sur la petite arête avant de redescendre ensemble sur l'autre versant dans un terrain délicat.
Nous avançons dans 30cm de neige poudreuse fraichement tombée en nous orientant au mieux du relief dans la nuit. Nos lampes frontales illuminent les innombrables flocons qui ressemblent à des milliers d' insectes afollés par les faisceaux de nos lumières. On distingue bientôt au loin une masse noire qui se détache mystérieusement à la frontière du brouillard et de la nuit. Ce sont les contours de Hildesheimer hütte, perchée sur un nid d'aigle à 2900m d'altitude battue par les vents et protégée des assaillants par de formidables protections naturelles . L'aigle s'est bien défendu ! La paillasse sera douce, nous n'aurons pas à bivouaquer ce soir.
Il est 20H30 lorsque nous pénétrons dans le petit refuge d'hiver au bout du bout d'une arête de neige exigue. Personne n'a séjourné dans cet endroit peu accessible depuis le début de l'hiver si l'on en croit le registre du refuge. Il fait froid à l'intérieur mais l'air nous semble doux dans la cabane de tole, protégé du vent incessant qui souffle à l'extérieur. Nous allumons immédiatement le poele, mettons de la neige à fondre (Pas facile d'aller chercher de la neige dehors en équilibre sur notre arête balayée par le vent) et préparons une soupe chaude sur le rechaud pour commencer à restaurer nos corps fatigués. Thierry, mal en point, ne peut toujours rien avaler ! Sera t'il en état de repartir demain? La journée a été longue et difficile pour nous tous. Il est primordial de bien récupérer cette nuit. Nous espérons que les bonnes prévisions meteo prévues pour le lendemain se confirmeront. L'itinéraire planifié pour J3 est long, engagé, et alpin.
J3 : Hildesheimer Hütte - St Jacob (+700 -2000)
Quand nous nous réveillons au matin de J3, le ciel est enfin dégagé au coeur du massif du Stubai immaculé par les chutes de neige de la nuit. En sortant du refuge, l'impression est assez saisissante; nous sommes en équilibre entre terre et ciel sur une arête aiguisée plongeant d'un coté vers la Siegerlandtal et de l'autre vers le glacier de Pfaffenferner. La toute petite cabane d'hiver en tole de Hildesheimer Hütte (Photo ci dessous a G) est surmontée d'une mystérieuse boule rouge, comme s'il était besoin d'alerter les avions pour qu'ils ne la heurtent pas ! La nuit a été plus ou moins réparatrice. Thierry a recommencé à manger un peu , c'est une bonne nouvelle. Jean-Luc a peu dormi. De son côté, Nicolas ne se sent pas vraiment mieux, préocupé par sa forme, et par l'engagement de l'tinéraire à venir... . Cela ne lui ressemble guère, lui l'infatiguable alpiniste au mental en acier trempé ayant surmonté tant d'épreuves en montagne, visiteur de l'Everest et vainqueur de la face sud de l'Annapurna !
Avant de quitter le refuge, nous réfléchissons aux chemins alternatifs qui nous permettraient d'alléger l'étape. Nous décidons finalement de modifier notre itinéraire en prenant une route par le nord qui nous offre plusieurs options : celle de rattraper l'itinéraire initialement prévu au sommet du Wildefreier à 3500m , celle de couper l'étape en 2 si nécessaire en dormant au tout petit bivouac Müller perché sur une arête à 3300 m d'altitude ou bien encore celle de tenter de redescendre depuis la souricière du versant nord des Alpes de Stubai vers la vallée d'Innsbrück et le col du Brenner.
Nous quittons Hildesheimer Hütte alors que les rayons du soleil commencent tout juste à lécher le refuge et plongeons un peu à l'aveugle dans un couloir raide à l'aplomb de la cabane vers le glacier de Pfaffenferner 200m plus bas. Avec les accumulations de neige de la veille, il faut rester particulièrement vigilant pour ne pas nous laisser entrainer dans les petites coulées d'avalanche que nous provoquons dans le couloir. Parvenus sur le replas du glacier, nous remontons les belles pentes vierges du glacier de Pfaffenferner (voir photo ci dessous ) en direction de Pfaffenjoch et du sommet de Zuckerhütl encadré par les extraordianaires arêtes aériennes du Stubai.
Arrivés au col (photo ci dessus à D), nous laissons le sommet du ZuckerHütl sur notre droite pour nous engager sur la langue glacière de Sulzenauferner. La descente au coeur de l'immense versant nord des Alpes de Stubai à travers les séracs est grandiose sans une seule trace à perte de vue. On se sent minuscules et fragiles. Thierry qui reprend progressivement de l'énergie au fil de la journée, s'en donne à choeur joie dans la descente (photo ci dessous à G) . Nicolas, toujours en plein doute, s'interroge de plus en plus sur la suite du raid et nous en fait part. Il est vrai que même avec ce beau beau temps, notre itinéraire demande une attention constante pour éviter les pièges des crevasses et des coulées sur ce glacier piégeux. Afin de sortir de la zone exposée et pouvoir nous poser au plus vite pour faire le point ensemble, nous négligeons une traversée a flanc vers le Fernstube qui nous aurait épargné au moins 200m de D+ et décidons de descendre directement jusqu'au lac du glacier de Sulzenauferner dans des pentes avalancheuses raides réchauffées par le soleil (Photo ci dessous à D). Nicolas nous annonce à ce moment son souhait d'abandonner la traversée au plus vite dans la mesure où sa décision ne remet pas en cause la suite de l'aventure pour nous. C'est la douche froide pour Thiery et Jean-Luc ! Le sommet du Wildefreiger dominant le glacier du Fernstube que nous devions remonter nous tend les bras. Le petit refuge de Muller hütte accroché à ses arêtes semble nous faire un clin d'oeil au hasard d'un rayon du soleil qui le fait scintiller. Après une discussion pour tenter sans grande conviction de faire revenir Nicolas sur sa décision, nous décidons d'interrompre notre étape du jour et d'essayer de redescendre ensemble au mieux dans la vallée. Pas vraiment d'autre choix !
Assis au soleil à coté du lac, encore secoués par l'annonce de Nicolas, avant de nous lancer dans la descente, nous prenons le temps d'un long échange sur notre pratique de la montagne, sur notre appréciation et notre acceptance au risque, sur l'évolution de notre mental avec les années, sur les origines de notre motivation en montagne, sur les mécanismes de la peur et de la confiance, sur les liens entre le mental et le physique, sur nos épreuves respectives en montagne et ce que nous en avons appris, sur la dynamique de cordée , sur l'émotion de devoir scinder le groupe, ... et aussi bien sûr sur les options possible pour la suite : Comment redescendre au mieux vers Stubaital dans ce terrain raide, complexe et avalancheux ? Comment rentrer en France pour Nicolas ? Thierry et Jean Luc vont ils pouvoir rejoindre dès ce soir la cabane prévue au fond de la vallée de St Jacob afin de ne pas perdre le fil de la traversée et le créneau météo favorable du lendemain ? Beaucoup de questions sans réponse !
La descente vers la Stubaital est longue et délicate, d'abord jusqu'aux abord de la cabane de Sulzenauhutte fermée l'hiver car d'accès beaucoup trop dangereux, puis dans une pente compliquée à négocier entre les barres rocheuses et les couloirs d'avalanche sous le refuge pour rejoindre le plateau du Sulzaubach (Photo ci dessus à D). Après le verrou du plateau, nous devons encore descendre à flanc de montagne dans des pentes particulièrement raides exposées au nord sur un semblant de chemin d'été vertigineux encore à moitié enneigé sur lequel il faut être très très vigilants, jusqu'à croiser un couloir d'avalanche (Photo ci dessous à G) qui nous permet de perdre de l'altitude et de descendre directement vers le fond de la vallée de Stubaital. Arrivés dans la vallée, nous rattrapons la route qui descend de la seule station de ski des Alpes de Stubai et rejoignons ainsi un réseau de bus qui nous permet de gagner assez facilement la gare d' Innsbruck. C'est dans le grand hall triste de Zentral banhof que nous nous séparons avec Nicolas (Photo ci dessous au milieu). Lui va rejoindre la France au mieux (finalement dans un bus de nuit qui mettra 24H en passant par Cologne et Strasbourg), nous (Thierry et Jean-Luc) attrapons sans attendre un train puis un bus pour le col du Brenner, puis Sterling et St Jacob en Italie, ce qui nous permet de rejoindre notre itinéraire à l'entrée des Zillertaler Alpen. Un petit miracle ! Une fois de plus, nous sommes impressionnés par l'organisation, la qualité et la ponctualité des réseaux de bus et de trains des Alpes suisses, italiennes et autrichiennes !
Parvenus à St Jacob am Pitschtal en bus à la tombée de la nuit, nous poursuivons à pied un peu plus en amont dans la vallée (Photo ci dessus à D), traversons le minuscule hameau de Stein baigné par des odeurs capiteuses de traite, de bétail et de fourages , avant de rejoindre à la lisière de la forêt le gîte ou nous avons réservé pour la nuit . La GastHaus Stein a un charme assez irréel avec sa facade blanche éclairée par la lumière de la lune qu'on dirait imaginée dans un conte pour enfant . L'intérieur de l'auberge est à l'avenant avec son invraissemblable plancher en bois brut irrégulier sans âge, son immense poele en fayence colorée qui réchauffe la maison, sa décoration intérieure défraichie élimée par les années , et son installation électrique sans âge avec ses interrupteurs en porcelaine et ses fils en tissu dégarni. L'ensemble est tenu d'une main de fer par la maitresse des lieux, Isolde, héritière de la famille propriétaire de ce lieu du bout du monde depuis 20 générations, qui nous accueille en allemand bien que nous soyons ici en Italie avec un mélange de rudesse, de familiarité et de gentillesse. Nous sommes ses seuls hôtes ce soir ! Elle nous autorise donc à étaler nos affaires pour les faire sécher et les réparer au beau milieu de la salle à manger en attendant de servir à diner. Vu l'heure tardive, Isolde a décidé de ne nous servir que quelques tranches de Spek délicieusement parfumé avec des Kartoffeln braisées et un morceau de Strudel comme dessert. Nous n'avions qu'à arriver plus tôt si nous voulions un diner plus élaboré! Cela nous comble déjà amplement en comparaison de nos habituelles "pâtes au poivre" et nos compotes. Notre repas est en lui même un concentré de l'histoire et de la culture de cette région si particulière qu'est le Südtyrol, à savoir un mix du meilleur de l'Italie et de l'Autriche.
Assis à notre table à coté du poêle, nous récupérons doucement de notre journée, encore un peu groggys des évènements et marqués par l'ascenseur émotionnel que nous avons vécu : entre l'excitation magnifique des arêtes aériennes des Alpes du Stubai du matin et la séparation difficile et triste avec Nicolas l'après midi dans le hall de Zentral banhof à Innsbrück, entre la poudreuse merveilleuse du Sulzferner et l'austérité dangereuse de la descente vers Stubaital dans les barres rocheuses et les couloirs d'avalanche. Que de contrastes ! Le roman de la GTA doit continuer de s'écrire à 2. Nous allons désormais repartir vers l'Est pour parachever la GTA. Nous devons à nouveau préparer le trajet pour les longues étapes des jours à venir, vérifier les traces, les vivres, nous projeter dans l'univers engagé du massif des Alpes de Ziller, sans oublier de réparer nos bobos et le matériel endommagé (Chaussure cassée pour Jean-Luc et réglages de peaux et de fixation) . L'aventure continue.
J4 Stein - Fürtschagl hütte (D+ 1400m D- 700m)
Au matin de J4, nous quittons l'accueillante GastHaus Stein sous un ciel d'un bleu qui fait du bien à l'âme. Le temps d'une photo souvenir prise par notre hotesse Isolde devant son auberge, nous partons, skis sur les sacs, vers la forêt qui couvre la haute vallée de Pfitschtal. Suite au départ de Nicolas, nous nous sommes répartis le matériel commun qu'il portait, indispensable pour poursuivre notre raid. Le poids de son absence ne pèsera donc pas seulement sur notre mental mais aussi sur nos épaules ! Nous cheminons lentement au fond de cette vallée reculée et sauvage dans laquelle aucune trace, aucune remontée ni aucune voiture ne viennent perturber la quiétude du paysage dominé par les premiers sommets des Alpes de Ziller. Au loin, nous apercevons une horde de chamois qui se réchauffent aux rayons du soleil du matin. Nous marchons l'un derrière l'autre sur le chemin d'été qui s'élève doucement entre les sapins et les torrents. La neige gelée crisse sous nos chaussures. Le rythme calme de nos pas n'est perturbé que par les rayons du soleil qui traversent les sapins par intermittance et illuminent nos corps en mouvement. La belle sérénité de ce sous bois nous aide à remettre nos têtes dans le bon sens, comme par magie.
En sortant de la forêt après une petite heure de marche, la couche de neige devient assez régulière pour chausser les skis. Nous décidons de ne pas suivre la trace GPS que nous avions préparée vers Pfitshenjoch, bien trop exposée à travers des barres rocheuses déjà chauffées par le soleil (c'est bien d'avoir de la visibilité !) et préférons nous engager à vue en direction des grandes pentes sud (Photo ci dessous milieu), ce qui nous forcent à monter largement au dessus du col pour ensuite redescendre par la crête vers le point le plus bas. Que de conversions pour gravir ces pentes raides dans une neige tantôt ramollie par le soleil du matin , tantôt dure et glacée lorsque les rayons ne l'ont pas encore carressée ! Les couteaux, installés sur les skis au bon moment, sont essentiels pour ne pas perdre trop d'energie dans l'ascension. Arrivés sur la crête, nous nous laissons glisser jusqu'à Pfitschenjoch (Photo ci dessous à D). La vue sur les faces Nord des sommets des Zillertaller occidentales surplombant Pfitschtal sont impressionnantes. Quelles montagnes majestueuses ! Nous savons qu'à partir de ce point, l'engagement devient important particulièrement si la meteo venait à tourner. Nous sommes seuls dans ce massif si peu accessible en hiver....
La neige porte bien en redescendant de Pfitschenjoch, ce qui nous permet de glisser rapidement dans la longue vallée de SamserGrund (Photo ci dessous à G) qui s'étire sur des kilomètres jusqu'au lac de barrage de Schledeisspeicher. La même descente dans une neige poudreuse ou collante nous aurait demandé beaucoup de temps ! En été, les voitures arrivent jusqu'au lac de barrage en remontant sur des dizaine de kilomètres la haute vallée de Zemmtal qui longe le massif des Zillertaler Alpen par le nord depuis Ginzling. Entre octobre et juin, cette haute route est fermée, impraticable, coupée par la neige et les avalanches. En cette période de l'année, l'endroit est donc absolument désert, beaucoup trop compliqué d'accès pour attirer les skieurs de montagne et les alpinistes . Après avoir dépassé le barrage, nous suivons la branche sud du lac (Photo du milieu ci dessous) pour arriver au coeur de la haute chaine des Alpes de Ziller dans la haute vallée du Schlegeisbach (Photo ci dessous à D) dominée par les multiple langues glacières du Schlegeisskees. L'impression d'isolement est particulièrement forte. Le refuge de Furschtagl où nous avons prévu de dormir ce soir est situé sur le versant Ouest, au dessus de l'impressionnante moraine qui sélève plus de 400 mètres au dessus du fond de la vallée. On a du mal à imaginer que cette moraine fut un jour complètement remplie de glace et que les langues des glaciers venaient encore lécher le lac il y a seulement 30 ou 40 ans !
En cheminant au fond de la vallée , nous assistons un peu ébais à une succession d' énormes avalanches qui dévalent littéralement depuis le versant Est de la vallée (Voir photos ci dessous) en balayant toute la face. Elles nous frôlent. On sent leur souffle, on entend leur bruit indescripible de fracat sourd, on est saisi par leur odeur acre, étrange mélange de neige, de glace, de terre et de pierres qui dégeulent dans la face . On appelle ce type d'avalanches des "avalanches de fond" car elles emportent tout le manteau neigeux sur leur passage jusqu'à la terre. Elles sont suivies d'autres coulées, plus petites mais presque continues. Les énormes volumes de neige déplacés couvrent le fond de la vallée de grumeaux de neige épais et sales sur plusieurs centaines de mètres de largeur et peut être 7 ou 8 mètres d'épaisseur . On se sent minuscules et vulnérables. Le silence qui succède à la fureur de ces avalanches est glacant, un silence de désolation. Comme si la montagne se taisait un instant par respect pour le rugissement du fauve et de peur qu'il ne rugisse encore.
Après pas mal d'hésitation, nous décidons d'attaquer droit dans la pente sur le versant ouest de la moraine en suivant plus ou moins l'axe du petit monte charge qui va droit vers le refuge de Furtschagl hütte, utilisé probablement l'été pour le ravitailler. La neige transformée par le soleil tient mal sous les skis avec la raideur de la pente. Nous remontons des couloirs en neige pourrie, traversons des goulottes ravinées, enjambons des passages en herbe ou en rocher dans lesquels la neige ramollie par le soleil de l'après midi a déjà dévalé. Dans les traversées de couloirs, on se fait léger léger pour essayer de ne rien déclancher. Nous ressemblons à des funambules en équilibre sur le fil d' une pente instable (Photo ci dessus au milieu et D) . En bruit de fond, on entend toujours les avalanches et les pierres qui dévalent sur l'autre versant de facon presque ininterrompue. Nous ne sommes vraiment pas sereins. Après une heure et demi d'ascension tendue, nous débouchons sur la lèvre supérieure de la moraine et apercevons peu après le refuge au loin sur un replas illuminé par le soleil.
Le minuscule refuge d'hiver est situé sous le grand refuge d'été qui est lui fermé (Photo ci dessus à G) . Il est très sommaire, en mauvais état, sale, soutenu par des étais et des planches comme s'il risquait de s'écrouler ! L'essentiel est la mais guère plus : une porte qui ferme mal, 6 petites couchettes un peu humides, quelques couvertures trouées, une grande casserole cabossée pour faire fondre la neige, un petit poêle sans âge, une table instable, 2 chaises et un banc cassé (Photo ci dessous à D) . Il n'y a malheureusement que très peu de bois pour alimenter le poele et donc pour réchauffer la pièce !! Nous trouvons heureusement quelques planches de sapins humides qui trainent dans le refuge, surplus probable de la réparation de fortune qui a été faite il y a quelques années pour éviter que le refuge ne s'afaisse. Thierry se charge de les fendre soigneusement une par une à la hache avec patience en buchettes de tous diamètres pour réussir à allumer le poele, ce qui n'est pas une mince affaire .... Il s'y reprend à plusieurs fois. C'est un vrai soulagement quand le poêle se met enfin à ronronner doucement et à remplir la pièce d'une chaleur réconfortante. Nous pouvons commencer à penser au diner.
Dehors, un beau coucher de soleil embrase de rose les sommets qui nous surplombent, le premier auquel nous assistons depuis notre départ . Au loin, on distingue les crêtes du Grand Möseler que nous devons traverser le lendemain pour basculer vers l'est. Elles paraissent bien raides ! Les prévisions météo ne sont pas très bonnes. Le dîner à la lueur de 2 petites bougies est simple et frugal sur la table bancale du refuge : soupe, pâtes au poivre et compotes. Nous parlons peu. Le poêle s'est vite éteint faute de bois et la température a très vite chuté dans le refuge. Le temps d'une tisane, d'une gorgée d'Armagnac reconfortante, d'un check rapide pour s'accorder sur les options d'itinéraire importantes de la course du lendemain et nous partons nous réchauffer dans les couchettes après cette longue journée.
J5 Furtschagl Hütte - MoselercharteW -Furtschagl Hutte (D+ 1300 D-1300)
La nuit a été fraiche, emmitouflés dans nos vêtements et les couvertures sans âge de la cabane. Le ronronnement de la flamme du réchaud au réveil nous motive pour nous lever et affronter le froid du refuge. Au matin de J5, nous préparons notre équipement à la lumière de nos lampes frontale (Photo ci dessous à G) en prévision d'une journée potentiellement délicate et piégeuse : corde immédiatement accessible, crampons au dessus du sac et équipement pour le mauvais temps à portée de main immédiate . Le soleil n'est pas encore vraiment levé lorsque nous quittons le refuge sous un ciel mi noir mi gris ! L'ambiance est austère au milieu du grand cirque glacière de Furschtagel. La petite couche de neige tombée pendant la nuit ajoute une touche de mystère à l'atmosphère froide du début de l'ascension. Après une longue traversée à plat pour éviter des pentes dangereuses et basculer sur le bon versant du cirque, nous nous engageons dans une pente raide sur une sorte d'éperon en direction du bas du glacier de Furschtagel (photo ci dessous à D).
Parvenus sur le glacier, le plafond de nuages s'abaisse d'un coup. Nous remontons le glacier dans un brouillard épais pour chercher le meilleur accès vers le GrossMöselerpass situé encore loin au dessus de nous. La montée est difficile, le glacier crevassé et l'itinéraire de la trace GPS que nous avons préparée compliqué à suivre. Il nous faut beaucoup de temps pour parvenir au pied de la pente sommitale puis pour trouver l'itinéraire qui nous permet d'atteindre la crête à 3450m d'altitude. La crête sommitale est aérienne et le manque absolu de visibilité rend le cheminement particulièrement incertain. Nous navigons un peu à vue sur l'arête aiguisée du Grand Möseler, balottés par le vent et la neige qui s'est remise à tomber. L'ambiance est très hivernale (photo ci dessous à D). La descente derrière la crête est impressionante ! Nous hésitons un long moment sur le meilleur passage à suivre versant Sud-Est ainsi que sur la méthode de descente ( à ski ou en crampons). Toutes les options semblent délicates et très exposées. Ce n'était pas ce que nous avions prévu !
Après plusieurs aller -retour le long de la crête pour évaluer la situation, nous décidons de mettre les skis sur les sacs, de chausser les crampons et de descendre piolet en main dans une pente assez vertigineuse à l'aplomb du col (Photos ci dessous a G et milieu). Nous espérons pouvoir ainsi déboucher 200 mètres plus bas au niveau de la rimaye sur le glacier du Möseler. Chaque pas de cette descente face à la pente, arrimé à notre piolet, est dangereux dans une neige meuble en surface au dessus d'une pellicule de glace difficile à cramponner. Nos sacs, avec les skis dessus pèsent largement plus de 20 kilos ! C'est lourd pour un tel exercice d'équilibrisme. Nous avons déjà 1200m de dénivellée dans les pattes depuis ce matin . Thierry devant, fait la trace marche après marche avec application et régularité. La neige ne porte pas bien. Certains passages mixtes demandent beaucoup d'attention. Il nous faut un long moment pour parcourir la première partie de la pente que nous avions identifiée depuis la crête. Au bout d'une bonne heure de descente, nous arrivons au dessus d'une barre rocheuse infranchissable, invisible depuis le haut avec le brouillard.
Nous décidons de franchir cette barre rocheuse en posant un rappel sur un petit becquet incertain en espérant que nos 50 mètres de cordes seront suffisants pour franchir le ressaut. Avec le brouillard, il est très difficile de se rendre compte des distances et d'évaluer si notre corde est assez longue pour passer ! Jean-Luc s'engage en premier dans ce rappel, descend doucement jusqu'au bout de la corde, crampons sur la paroie . Il se retrouve bientôt pendu 25 mètres plus bas dans une ambiance verticale de glace et de rocher, mais encore à une bonne quinzaine de mètres au dessus du pied de la paroie. "Continue"crie Thierry ! "Bout de corde " crie jean-Luc ! Dialogue de sourds. Aucun des deux n'entend les mots de l'autre couverts par les hurlements du vent. Il faudrait tirer un deuxième rappel sur un relais hypothétique pour passer la barre rocheuse. Trop risqué et trop aléatoire avec le matériel dont nous disposons ! Jean Luc décide de remonter lentement et péniblement jusqu'au relais où il retrouve Thierry, un brin énervé de l'issue de cette tentative et de la difficulté de communication... Les échanges se tendent souvent en montagne dès l'instant ou les difficultés surviennent ! La neige redouble et le froid mord un peu plus. Nous reprenons un peu nos esprits, essayons de calmer le stress de cette situation inconfortable et décidons de traverser à niveau pour chercher une autre issue. L'ambiance est toujours aussi impressionnante, probablement amplifiée par le mauvais temps qui nous empêche d'évaluer justement les difficultés et de trouver les bons passages. Nous avancons sur les pointes avant de nos crampons sans vraiment voir à plus de 10m devant nous. Une grande traversée vers la gauche se solde par une nouvelle impasse dans un autre cul de sac infranchissable. D'un commun accord, nous décidons alors de remonter vers le col 150m plus haut pour chercher un autre passage. La météo ne s'améliore pas du tout et l'heure tourne irrémédiablement. Il est déjà presque 15H lorsque nous basculons à nouveau sur la crête.
Que faire maintenant ? Est il encore temps de nous relancer dans une autre tentative ? Avons nous encore assez d'énergie et d'influx pour nous engager de nouveau dans la pente ... ou bien n'est il pas préférable, compte tenu des conditions qui se dégradent , de l'heure qui avance et de la fatigue accumulée, de prendre la décision de battre en retraite et de revenir vers le refuge. On essaye d'évaluer les conséquences de la décision que nous devons prendre sur la suite de l'aventure. Ces moments sont difficiles. Si nous rebroussons chemin , nous risquons d' être coincés au refuge le lendemain à cause des accumulations de neige . Cela remet aussi en question toute la suite de notre itinéraire ! Nos échanges sont francs, brefs, durs, faussement assurés .... Le processus de prise de décision en montagne dans une cordée est très intéressant, c'est le fruit d'une combinaison de facteurs multiples faits d'expérience, de confiance et connaissance mutuelle, de capacité technique, de maitrise des émotions, d'engagement vers l'objectif, d'état mental, de forme physique, de fatigue, de psychologie et d'envie. On s'engueule un peu, on n'est pas d'accord, on s'influence, le stress s'exprime, la balance penche d'un côté, de l'autre .... et soudain, l'équilibre fragile de l'indécision bascule pour qu'une décision soit prise, retenue par un fil ténu mais qui emporte le tout .... Elle devient la meilleure, la seule, l'unique ... dans laquelle nous nous engageons à 200%.
Emoussés par le vent et la fatigue, vaincus par le brouillard et la visibilité de plus en plus déclinante, nous décidons la mort dans l'âme de redescendre vers le refuge de Furtschagl d'où nous sommes partis ce matin. La retraite est assez compliquée, rendue dangereuse à la fois par les conditions très difficile et par le risque de baisse de notre niveau d'attention à cause de la frustration (Photos ci dessus au milieu et à D). Nos traces de montée qui auraient du nous servir de fil d'Ariane pour nous guider dans la descente ont évidemment disparu sous la neige et le vent. Les crevasses ne sont plus visibles non plus. Nous navigons à la boussole et au GPS en tentant de rester à vue l'un de l'autre dans une purée de pois indéfinissable. Le moral est au plus bas. On évoque l'abandon pur et simple de la GTA10 puisque nous sommes coincés dans ce cirque inhospitalier transformé en véritable souricière! L'idée d'une nouvelle nuit dans le local d'hiver un peu délabré de Furtschagl dans lequel il n'y a plus de bois pour nous réchauffer est déprimante! Malgré l'assistance précieuse du GPS, nous peinons à trouver notre route vers le refuge et nous faisons piéger plusieurs fois par les illusions d'optique et le brouillard, ce qui nous oblige à remettre les peaux pour sagement éviter un couloir piegeux qui semblait nous tendre les bras.
Nous arrivons au refuge vers 18H, largement entamés par cette journée intense et sans répi, frustrés de ne pas avoir réussi à franchir la crête du sommet du Grand Möseler que nous pensions sans difficulté particulière et de nous retrouver à nouveau dans cette piece sombre et froide sans trop savoir comment gérer la suite de l'aventure. Par miracle, au milieu de notre dépit, nous dénichons quelques vieilles petites planches de bois gelées à moitié pourries sous l'armature du refuge qui nous permettent d'allumer brièvement (non sans difficulté) le poêle, de faire fondre un peu de neige sans consommer trop de gaz , de réchauffer légèrement l'intérieur de la pièce et de recharger un peu nos batteries intérieures qui en ont bien besoin. Nous allumons les bougies pour égayer la pièce triste ainsi que le réchaud pour faire bouillir de l'eau. Nous prenons le temps de nous poser en silence pour récupérer des efforts de la longue journée, pour faire retomber l'adrénaline de la tension qui ne nous a pas vraiment quitté de la journée .... puis nous entamons la préparation du diner qui ressemble à s'y méprendre à celui de la veille (!) mais que nous goutons pourtant avec délice. Grâce à ce moment de récupération salutaire, grâce à ce phénomène miraculeux qu'est la réaction du corps et de l'esprit à l'arrivée au refuge en montagne, nous retrouvons peu à peu l'énergie et l'envie pour remettre l'ouvrage sur le métier et nous plonger dans les cartes des Alpes de Ziller à la recherche d'un itinéraire qui nous permettra de poursuivre notre GTA en évitant le Grand Möseler infranchissable dans ces conditions .
L'imagination et l'audace sont des qualités essentielles en Haute Montagne pour savoir se sortir de situations apparemment bloquées. En l'ocurrence, notre seule option consiste à sortir complètement du cadre des itinéraires envisagés lors de la préparation et d'imaginer une nouvelle route en considérant toutes les options techniquement possible pour quitter ce satané cirque glacière de Furschtagl. Tout d'un coup, une éclaircie apparait de nos échanges, lumineuse comme la solution d'une équation qui semblait insoluble. Et si nous tentions de passer par le tout petit col de schlegeissharte au sommet d'une petite langue glacière suspendue. Le passage ne parait pas trop raide ! Si nous osions nous engager dans la longue traversée de tout le cirque glacière de Furtschagl, franchissions un premier col avant de replonger sur le glacier et de remonter plein sud le long d'une chute de séracs vers une étroite langue glacière qui semble déboucher sur la petite fenêtre miraculeuse de Schlegeissharte. Cet itinéraire , s'il nous souriait, pourrait ouvrir les portes de l'Ahrntal en passant par le sud et débloquer la route vers la suite de la traversée .... En tout cas, cette solution mérite d'être tentée . Cette idée simple suffit à faire renaitre en nous l'espoir d'une suite pour la GTA 10. Elle apaise nos sens à fleur de peau au moment de tomber dans un sommeil réparateur. Les dernières prévisions météo pour le lendemain (datant d'il y a 3 jours ) semblent favorables.
J6 Furstchagl hütte - Lappach - Prettau an Ahrntal D+ 1300 D- 2300
Lorsque le réveil sonne au matin de J6, nous émergeons d'une nuit qui nous a paru longue et froide. A l'extérieur, il ne fait pas encore jour mais à travers la fenêtre, on devine un ciel limpide et glacial qui annonce les prémices d' une très belle journée. De la neige a saupoudré l'intérieur de la cabane à cause du vent et de la porte d'entrée qui fermait mal malgré le manche à balais que nous avions installé pour la bloquer. L'eau a gelé dans la bassine de fonte d'hier soir. Heureusement que nous avions déjà préparé nos gourdes pour la journée. Les premiers rayons du soleil apparaissent au loin dans le rosé du ciel comme la promesse d'une renaissance mystérieuse. J'ai souvent été étonné du pouvoir réparateur du sommeil des nuits en refuge ou en bivouac, même quand on y dort très mal, mais plus encore j'ai toujours été stupéfait du pouvoir amnésique des rayons du soleil sur nos doutes d'alpinistes lorsqu'ils embrasent les sommets et les faces au petit matin , balayant comme par enchantement beaucoup de nos inquiétudes. Nous préparons nos affaires à la hâte, bouclons nos sacs, balayons le refuge en pensant à nos improbables successeurs. La pyramide du Grand Möseler la haut nous fait un clin d'oeil presque narquois quand le soleil l'allume. Nous ne la regardons même pas, l'esprit tourné vers l'itinéraire que nous avons décidé de suivre. La muraille des zillertaler occidentales cette fois ne devrait pas nous résister !
Les premiers rayons du soleil viennent tout juste carresser les plus hauts sommets lorsque nous nous mettons en marche (Photo ci dessus à G) . Nous faisons la trace dans une neige changeante encore poudreuse et instable dans les versants abrités, déjà croutée sur les versants où elle a été travaillée par le vent du nord. L'ambiance est assez grandiose sous le regard des Faces Nord des sommets des Alpes de Ziller dont on a du mal à mesurer l'ampleur tant elles sont impressionnantes dans la lumière rasante du matin . Nous contournons la chute de seracs du glacier de Furtschtal, traversons les arêtes d'un petit sommet en forme de cône duquel on aurait envie de décoller vers le ciel (Photo ci dessus à D) avant d' entamer un immense arc de cercle vers le sud autour des sommets magestueux qui nous entourent sous une lumière d'une beauté irréelle. Nous marchons l'un derrière l'autre en silence dans l' immensité blanche, conscients du privilège incroyable de vivre de tels moments. Comme des chemineaux de la montagne qui ont enfin trouvé ce qu'ils étaient venus chercher dans cette GTA, nous traçons notre route sans savoir exactement où elle va nous mener.
Nous nous comprenons sans nous parler, incrédules de tant de plénitude et d'équilibre dans ce paysage miraculeusement paisible après les tempêtes des jours précédents. Les marques des batons dans la neige le long du sillon des skis laissent des signes cabalistiques éphémères indéchiffrables pour le commun des mortels mais qui portent surement en eux quelques messages mystérieux à destinations des chemineaux de la montagne. Les crêtes dansent autour de nous en un ballet fantastique animé par le soleil qui tourne et le vent qui irise la neige. L'impression de légèreté dans l'atmosphère est telle que le poids des sacs sur nos épaules semble soudain s'évaporer; illusion de l'âme sur le corps et le réel ! Victoire de la légèreté sur la pesanteur! Magie de la liberté et de la beauté dans ces moments d'une intensité rare, résultante de 10 années de GTA et de 50 ans d'aventures en montagne ensemble. Les "horizons gagnées" semblent à portée de mains pour les "conquérants de l'inutile" que nous sommes dans ces instants hors du temps !
Soudain, sans réfléchir , l'envie nous prend de laisser exploser ce trop plein d'émotion. L'un après l'autre, sans comprendre ce que nous faisons, nous nous mettons à crier du plus fort que nous le pouvons dans l'immensité vide du massif des Zillertaler Alpen : "G ....T .....A, G ...T...A ! Vive la GTA !". Nos hurlements se perdent dans le silence des sommets. Ils rebondissent sur la voute du ciel et sur les faces des sommets des Alpes de Ziller avant de revenir en échos dans nos têtes tels des boomerangs, ferments pour les souvenirs de tant d'années partagées à tutoyer les sommets.
Thierry trace sa route dans la neige immaculée en se laissant bercer par le rythme de chacun de ses pas, de chaque baton qui effleure la neige pour mieux se laisser imprégner de cette montagne magique qui ravive tant de souvenirs heureux ou difficiles. Il s'arrête pour regarder le jeu des nuages sur les crêtes la haut puis l'instant d'après pour tomber en admiration devant un merveilleux tableau naturel à ses pieds fait de rocher, de vent et de glace qu'il effleure en marchant (Photo ci dessous à G). Il sourit et se rappelle de cette année 2016 ou immobilisé au bord de la vie il n'avait pu participer à notre traversée, il se souvient de sa renaissance l'année suivante sur les glaciers des sources de l'Isère. Il se rappelle de quelques éclairs de sa vie d'alpiniste, du moment suspendu de son arrivée au Mont Blanc en débouchant seul depuis l'extraordinaire arête de Peuterey dont il avait tant rêvé, du sourire éternel du funambule François sur le granit de la pointe Lachenal quelques années auparavant, de la force de notre cordée indéfectible depuis tant d'années gravissant tant d'arêtes et de sommets.
Jean Luc lui est obnubilé par l'illusion de capturer ces instants éphémères, de retenir un brin de ce bonheur en diamant avec son oeil avisé de photographe comme si l'idée d'enfermer ce bonheur dans une boite pouvait le rendre encore plus fort et peut être plus pérène. Son regard est aimanté par la lumière rasante qui joue avec les faces et avec les arêtes. Il a gravi dix fois tous les sommets du monde avec ses mains ou avec ses yeux, avec ses livres, ceux de Rébuffat à Terray en passant par Messner ou Bonatti. Il les connait mieux que personne, il sent les itinéraires, il les voit, il les dessine. Souvent il les gravit. Parfois il trébuche. L'épreuve le rend plus fort. Il vit la haute montagne depuis tellement d'années, habité par ses milliers d'ascensions, de projets et de renoncements. En cet instant de grâce alpine, il se souvient avec un sourire mêlée d' un brin de nostalgie de la naissance de l'aventure de la GTA sur le glacier des Grands Couloirs à la Grande Casse il y a déjà 12 ans ! Ses paupières seraient humides si elles ne cristallisaient pas déjà sous les assauts glacés du vent du nord.
Après cette chevauchée merveilleuse à travers le cirque de Furtschagl propice à l'évasion des esprits et à la renaissance des souvenirs, nous parvenons à la belle crête de Neveser Sattle sous le sommet du Breitnock. Pour la première fois depuis le départ de Nice il y a 10 ans, nous apercevons vers l'Est au loin , derrière les derniers pics des Zillertaler Alpen, les premiers sommets du massif des Hohen Tauern, point d'arrivée de notre GTA..... Le temps de quelques photos vaguement publicitaires pour les batons de ski Leiki que Thierry tient absolument à réaliser pour une raison qu'il conservera secrète (!), nous nous engageons dans une descente raide droit dans la face Nord du Breitnock (Photo ci dessous à D) avant de remonter le long d'une chute de séracs vers la petite langue glacière suspendue qui nous mène jusqu'au Schlegeissharte.
Il est des jours en montagne au cours desquels tout s'enchaine mal, où les décisions qu'on prend sont presque,systématiquement douloureuses ou mauvaises, où on a l'impression de prendre des risques à chaque instant, où les crevasses paraissent plus dangereuses, les point d'assurage moins solide, les pentes plus instables, la neige plus mauvaise, où la chance semble tourner du mauvais coté sans comprendre vraiment pourquoi . C'était le cas de la journée d'hier lors de notre tentative au Grand Möseler pour tenter d'atteindre le cirque glacière de Berliner Hütte.
Au contraire, il est des journées en montagne où tout parait sourire , où les paroies se grimpent sans effort, où les itinéraires délicats passent sans heurts, où les paris osés deviennent judicieux, où les décisions sont faciles , bref des jours ou tout semble couler de source . C'est le cas d'aujourd'hui: A l'instar de notre chevauchée fantastique du matin à travers le cirque de Furtschagl , la montée vers Schlegeeisssharte est belle, efficace, et rapide. L'itinéraire dessiné dans le stress et le froid du refuge s'avère juste et esthétique, sans difficulté insurmontable. Le passage du col lui même (Photo ci dessous à G) est finalement plus facile que nous le pensions malgré la glace bien présente au sommet. Pas même besoin de tirer des longueurs pour franchir le col ni même de poser un rappel pour redescendre vers le glacier sur le versant sud !
Après avoir franchi le col, nous changeons complètement d'ambiance et de paysage. Nous nous trouvons subitement à l'abris du vent du nord dans une atmosphère réchauffée par le soleil printanier. Le contraste est saisissant entre les séracs des austères faces nord que nous avons quittés et les pentes douces en neige transformée par un soleil presque trop chaud que nous trouvons de l'autre coté. ! La descente s'engage dans un paysage à couper le souffle (photo ci dessous au milieu) qui s'ouvre à perte de vue vers le sud et vers l'est des Alpes. Nous dessinons de grandes sinusoides qui se croisent à l'infini dans les immenses champs de neige de la face sud du Breitnock. Après les premières grande pentes, l'itinéraire pour rejoindre le lac du barrage de Neveser See en contrebas (Photo ci dessous à D) devient un peu compliqué et nous demande pas mal d'attention. Les dernières pentes raides avant le barrage, en neige complètement transformée par le soleil sont même assez dangereuses et difficiles.
Arrivés au lac de barrage à 2000m d'altitude après cette longue et belle descente, nous longeons le lac au trois quart vide sur sa rive gauche et rejoignons la jolie route enneigée qui redescend vers la vallée de Lappach en serpentant malicieusement à travers les barres rocheuses. Nous déchaussons vers 1700m avant de terminer à pied sur quelques kilomètres vers le village de Lappach. Nous avons basculé en Italie. Un peu comme à Pfitschtal ou nous avions séjourné 3 jours plus tôt, la vallée de Lappach est elle aussi préservée de toute installation touristique, ce qui lui donne une ambiance rurale et apaisée (Photo ci dessous au milieu) . Parvenus à Lappach, nous attrapons un premier bus qui nous amène dans la station de ski de St Johan am Ahrntal puis un deuxième vers le fond de la vallée dans le hameau de Prettau (Kasern) où nous avons prévu de passer la nuit (Photo ci dessous à D) .
L'auberge où nous dormons ce soir au fond le la vallée de l'Ahrntal est typique du Tyrol autrichien ou italien avec ses boiseries, son confort sobre et ses décorations à nul autre pareil. Nous séjournons dans l'auberge avec 4 ou 5 groupes, tous des randonneurs à ski venus pour plusieurs jours avec leurs guides, principalement allemands et autrichiens. Prettau am Ahrntal est un lieu renommé pour le ski de randonnée avec beaucoup de très belles courses à faire à la journée, simples ballades de moyennes montagnes ou sommets plus ambitieux de la chaine des Alpes de Ziller. Nous faisons un peu figure d'OVNI avec notre projet de traversée dénué de confort, avec nos énormes sacs de 20kg, nos vêtements salis par 7 jours de traversée et notre itinéraire ambitieux. Nous sympatisons avec le guide italien d'un des groupes parlant bien français et échangeons avec lui sur notre périple, sur nos choix, sur la suite de notre itinéraire pour les jours à venir. Il est envieux de l'expérience que sommes en train de vivre, du caractère exceptionnel de notre aventure, tellement différente finalement de ce qu'il pratique avec ses clients même si le sport a le même nom. Il nous met en garde sur la forte exposition de l'itinéraire de la journée du lendemain, ce que nous n'avions pas forcément perçu sur les cartes. En échangeant avec lui, nous mesurons un peu plus encore la valeur singulière de notre aventure.
J7 Kasern Prettau - Warndorfer Hütte D+ 1400 D- 700
Les couleurs pastelles du ciel sont particulièrement belles lorsque nous quittons le hameau de Prettau au petit matin de J7. Nous sommes presque surpris d'être entourés d'autre skieurs qui se préparent avec nous au moment du départ, impressionnés par la qualité de leur équipement de montagne et de la légèreté de leurs sacs ! Nous échangeons un peu avec eux : ils prévoient tous des sorties à la demi journée afin d' être de retour à l'auberge vers midi avant l'arrivée du mauvais temps. La météo du jour prévoit en effet une dégradation des conditions dès le tout début l'après midi avec de grosses chutes de neige. A peine partis, nous regrettons déjà ne pas avoir démarré plus tôt, ce que nous aurions évidemment fait si nous ne nous étions pas laissés tenter par les brödchen du "frühstuck" de notre auberge qui n'était servi qu'à partir de 6H45 ! Nous le payerons dans l'après midi en cherchant désespérément le refuge de Warndorfer hütte dans la tempête.
Nous commençons par un long faux plat d'une bonne dizaine de kilomètres sur la piste de ski de fond remontant la vallée de Ahrn jusqu'à sa source (Photos ci dessus à G et au milieu). Parvenus au bout de la piste (Photo ci dessus à D) , nous nous trouvons au pied d'un itinéraire peu évident, à savoir un premier verrou à franchir dans une gorge délicate puis une pente raide et complexe menant jusqu' à la crête de Binnlücke à 2900 mètres d'altitude . Nous décidons d'effectuer un grand un arc de cercle vers le sud en nous engageant sur le glacier qui descend sous les DreiHerrnspitze, une des plus belles courses de ski alpinisme de la vallée. Nous aurions aimé faire un détour par ce sommet en Aller-Retour mais les prévisions météo du jour ne nous l'autorisent pas vraiment. Nous devons absolument avoir quitté le piège des crêtes de Binnlücke avant l'arrivée du mauvais temps ! Le ciel commence à se couvrir dès 10H30 alors que nous franchissons à peine la lèvre de la moraine du glacier (Photo ci dessous au milieu) . Il nous faut encore presque 2 heures pour atteindre la croix de Binnlücke. Au moment où nous arrivons au sommet, le ciel est totalement baché et les premiers flocons commencent à tomber. Les prévisions météo avaient vu juste. Nous aurions aimé être nettement plus rapide dans cette ascension mais en réalité, force est de constater que nous peinons avec nos sacs lourds à tenir un rythme de 400m de D+ par heure malgré les jours d'entrainement.
Après un bref déjeuner dans un trou de neige à l'abris du vent, nous partons dans la descente . La météo a subitement basculé, la neige tombe et nous sommes peu à peu pris par le brouillard. Heureusement que nous avions eu le temps de prendre quelques repères pour le départ dans le couloir rectiligne qui plonge depuis le col vers le fond de la vallée de Innerkeesalm. Le manteau neigeux semble suffisamment stable pour nous y engager ! En cas de conditions instables, ce couloir doit se transformer en un gigantesque toboggan de 800 mètres avec des coulées qui doivent balayer toute la pente jusqu'en bas. Cette idée nous fait froid dans le dos. La pente moyenne du couloir est très soutenue (bon 35° sur près de 800 mètres !) (Photo ci dessous à G et au milieu) avec des ressauts plus pentus .... sans visibilité ni repère. Le couloir semble ne pas finir ! Celui d'entre nous qui skie devant , avec pour seule perspective un mur blanc cotoneux qui se confond avec la neige essaye de coller aux affleurements de rochers du bords du couloir pour capter quelques repères visuels qui émergent du brouillard. Il fait office de point de repère pour celui qui skie derrière qui peut ainsi enchainer les virages un peu plus facilement avec une meilleure idée de la pente et du relief ! Nous sommes obligés de nous elayer fréquemment tant la tension est forte. Chaque virage est un exercice d'équilibrisme qui nécessite une attention de tous les instant pour ne pas chuter. Le poid des sacs ajoute à la difficulté et à l'effort à fournir. Parvenu enfin en bas du grand couloir, nous longeons une moraine noire mystérieuse et impressionnante (Photo ci dessous à D) avant de remettre nos peaux pour basculer sur l'autre versant dans un autre vallon vers le pied des pentes qui doivent nous mener à Warndorfer hütte.
Après avoir remis les peaux, nous commencons par traverser une zone de neige humidifiée en profondeur ou nous enfoncons de 50cm à chaque pas. La visibilité baisse si c'est encore possible et la neige se met à tomber de plus en plus fort. La traversée du lit d'un torrent sans aucune visibilité nous fait perdre du temps et nous procure quelques frayeurs. Nous attaquons la montée vers Warndorfer hütte à 15H en pleine tempête. L'accumulation de neige poudeuse humide tombée au cours des dernières heures dépasse probablement 30 cm. La pente vers le refuge semble excessivement raide. Nous ne comprenons pas très bien la physonomie du relief, difficile à lire avec des passages infranchissable et des affleurements de rocher. Nous navigons une fois de plus à l'aveugle dans une pente assez impressionante. Nous restons loin l'un de l'autre dans cette montée infernale pour diviser les risques. Notre rythme est désespérément lent et chaque pas représente un effort démesuré pour extraire nos skis de la neige en trainant d'énormes sabots de neige qui collent sous nos peaux de phoque (on appelle cela "botter" en jargon montagnard) . Nous mettons près de 2 heures pour gravir les 300 mètres de dénivellée qui nous séparent du refuge. Nous ressentons un véritable soulagement lorsque nous voyons enfin la cabane émerger comme par miracle du brouillard , tels des naufragés apercevant l'entrée du port dans la tempête (Photo ci dessous à D)
Parvenus au refuge, nous ne sommes pas encore tout à fait sortie d'affaire. Nous devons encore dégager l'entrée qui est encombrée par d'énormes quantités de neige! Lorsque nous pouvons enfin entrer, nous avons le plaisir de decouvrir un joli petit refuge confortable, propre et bien entretenu : 4 couchettes douillettes, des couvertures en bon état, un joli petit poêle, du bois presque sec, une table et des chaises. Une sorte de paradis après l'enfer de l'ascension vers le refuge. Il n'y a manifestement pas eu beaucoup de visiteurs dans cette cabane depuis le début de l'hiver !
Comme chaque jour lors de nos arrivées au refuge, nous répétons les mêmes routines d'installation avec méthode : soigneusement nettoyer, vérifier , sécher et ranger nos skis, nos peaux de phoques et notre matériel, rassembler le bois et prendre le temps d'allumer le poele avec patience brindille par brindille pour commencer à réchauffer la pièce, aller chercher de la neige pour la fonte, vider nos sacs et mettre nos vêtements de rechange, préparer les affaires pour la nuit .... Rapidement, nous allumons des petites bougies , points de lumière dérisoires mais précieux dans l'austérité et l'obscurité du refuge, puis lançons le réchaud afin de préparer aussi vite que possible un premier bol de soupe ou de thé pour nos corps déshydratés par l'effort. Le dîner est ensuite un moment essentiel au soir de ces journées éprouvantes . Nous mettons beaucoup d''application à sa préparation, un peu comme si nous cuisinions des plats sophistiqués de grande cuisine alors que notre menu reste invariablement simple et frugal : soupe, pâtes ou riz au poivre avec un peu de fromage et une compote en guise de dessert. Avec l'arrivée de la nuit, le ciel qui s'est un peu éclairci nous offre une vue dégagée sur un beau levé de lune entre les nuages au dessus du massif des Dreihernspitze. Nous distinguons au loin dans la pénombre vers l'ouest, la crête que nous avons traversée tout à l'heure et les pentes impressionnantes que nous avons descendues. Compte tenu des précipitations de l'après midi, il serait désormais totalement inenvisageable de traverser et de nous engager dans la descente effectuée tout à l'heure dans le brouillard. Il faut parfois de la chance en montagne pour passer ! Nous nous sentons bien dans cette minuscule cabane perdue au coeur du massif des Hohen Tauern occidentales.
Après le diner, à la lueur de nos maigres bougies, dans la douceur de ce merveilleux petit refuge isolé qui symbolise tellement bien la montagne que nous aimons pratiquer, nous partageons avec délice la dernière gorgée d'Armagnac de la fiole que nous avions emporté depuis la France. Nous sommes subitement pris d'un élan de nostalgie pressentant déjà le parfum de la fin de l'aventure. Nous parlons de tout, de rien, de nos vies, de ces années de traversée, de nos souvenirs alpins, de la difficulté jour après jour de ce raid impitoyable, de nos ascensions ensemble, de nos enfants, de nos projets d'alpinistes, de toutes ces choses immenses et minuscules qui nous lient l'un à l'autre et qui nous attachent à la montagne. Nous n'avons pas encore tout à fait décidé de la suite et de la fin de cette GTA 10 . Nous venons de pénétrer dans le massif des Hohen tauern, ultime massif de cette traversée des Alpes. Les refuges à venir au pieds des 2 plus hauts sommets d'Autriche seront probablement beaucoup plus fréquentés. Nous aimerions terminer la GTA en apothéose sur un des 2 grands sommets du massif, idéalement par une journée de grand beau temps. Nous aviserons donc en fonction de la météo dès que nous aurons accès à des prévisions ! La soirée se prolonge à coté du poêle bercés par le crépitement des flammes et la chaleur du feu avant de partir nous coucher. Nous nous relayons tout au long de la nuit pour alimenter le poêle en bois et faire ainsi durer un peu plus longtemps la douceur de la nostalgie. GTA quand tu nous tiens !
J8 Warndorfer hütte - Kürsinger Hütte D+ 1200 D- 1000
Le refuge est encore tiède lorsque nous nous réveillons tardivement au matin de J8, emmitoufflés dans la douceur de nos discussions et de notre nuit. Nos affaires restées devant le poele allumé, sont parfaitement sèches pour une fois à defaut d'être propres. Nous espérions un ciel clément pour la journée à venir mais ce n'est pas le cas, la neige s'est remise à tomber et la visibilité est très réduite en ce début de journée. L'éclaircie du levé de lune d'hier soir, porteuse d'espoir, a fait long feu. Il a probablement neigé toute la nuit, ce qui nous inquiète grandement en pensant à notre itinéraire du jour . 30 ou 40 centimètres de neige fraiche supplémentaires ont recouvert l'ensemble du massif . Toutes les pentes qui s'élèvent devant nous vont être fragiles et piégeuses. Le risque d'avalanche va clairement être maximal toute la journée dans toutes les orientations .... Le projet d'ascension que nous avions ébauché pour la journée en plus de la "simple" traversée vers le refuge est d'ors et déjà abandonné. Les conditions sont trop mauvaises. Rejoindre simplement le refuge de Kursinger nous semble désormais déjà un objectif très ambitieux !
Nous avons du mal à quitter le refuge, dépités par le mauvais temps dehors et objectivement inquiets des conditions de neige. Thierry se lance dans la première pente pour redescendre du promontoire sur lequel est installé le refuge, à l'aveugle dans un couloir chargé en neige. Parvenu sans dommage dans le petit vallon au pied du refuge, nous partons plein Est dans les pentes raides vers la Gamm Spitzl (photos ci dessus à D) dans une neige affreuse à la fois poudreuse en surface et fondue en dessous . Chaque pas est une épreuve et une inquiétude, comme la veille pour monter au refuge. Nous enfonçons parfois jusqu'aux hanches dans les creux de la pente ! C'est très impressionnant. Nous n'avons que 700 mètres à gravir pour rejoindre la crête mais cette ascension nous demande des efforts considérables.
Parvenus sur la crête, nous pensions trouver un passage facile pour traverser vers le glacier du Klimmrertörl et redescendre de l'autre côté, mais il n'en est rien. Le versant Est de la Gammspitze est rocheux et raide sans passage évident. Nous longeons la crête mi rocheuse mi neigeuse à la recherche d'une ouverture qui pourrait nous éviter de poser un rappel hasardeux (Photos ci dessus à G) . Nous franchissons quelques passages en "ski-escalade" pas forcément très orthodoxes (Photo ci dessus au milieu) et poursuivons la traversée jusqu' à une petite dépression qui s'ouvre sur un étroit couloir très raide plongeant vers le plateau du glacier (Photo ci dessus à D). Après avoir évalué la meilleure stratégie de descente, Jean-Luc rentre dans le couloir en faisant partir pas à pas les plaques sous ses skis avant de descendre dans la trace des coulées déclanchées jusqu'à atteindre un point suffisamment proche du bas du couloir pour se laisser purement et simplement glisser dans la coulée de neige fraiche . Nous parvenons ainsi sur le glacier où nous pouvons souffler un instant.
L''épaisseur de neige est telle sur le glacier de Kimmertörtl que nous peinons à glisser malgré la pente à la recherche du meilleur passage vers l'Obersulzbach (Photos ci dessus à D) . Quelques brèves éclaircies nous permettent d'apercevoir le fond de la profonde vallée d'Obersulzbachtal qui file au nord vers Neukirchen et Mittersill et au sud vers le sommet du Grossvenediger à 3650m . Nous devons veiller à ne pas perdre trop d'altitude pour éviter de nous trouver dans des pentes trop exposées . Il nous faut contourner la haute vallée de l'Obersullzbachtal par un itinéraire que nous pensions simple sur la carte mais qui est rendu beaucoup plus complexe par le manque de visibilité et les conditions de neige. Nous espérions trouver quelques traces de skis, même anciennes pour nous aider à nous orienter dans ce relief complexe sans visibilité mais il n'en est rien. Le goulet d'accès vers le glacier d'Obersulzbach est d'abord difficile à trouver puis, une fois engagé dedans, exige beaucoup d'attention . La traversée qui suit à flanc vers le GrosserGeiger kees dans une neige collante qui botte à chaque pas nous oblige à remonter puis à redescendre aplusieurs fois vant de pouvoir basculer vers le lac de Obersultz. La neige est tellement collante qu'on ne remet même pas les peaux de phoque dans les petites remontées ! Nous nous sentons minuscules au pied de ces géants qui émergent tels des fantômes par intermittance des nuages qui nous entourent. On distingue au loin de l'autre côté de la vallée, la silhouette noire de cabane de Kürsinger Hütte que nous devons rejoindre. Les distances sont accentuées par la brume.
Parvenus enfin au niveau du lac de Obersulzsee à 2200 mètres, nous retrouvons avec un certain soulagement la trace des skieurs qui montent vers le refuge depuis le fond de la vallée de Obersulzbachtal, ce qui est la voie normale d'accès au refuge en hiver . Les difficultés de la journée sont désormais derrière nous. Il nous reste à gravir les 400 mètres de dénivellée qui nous séparent de Kürsinger Hütte. Nous pensions passer une journée assez tranquille dans cette traversée entre Warndorfer hütte et Kürsinger hütte. Aujourd'hui, il n'en a rien été. La tension a été constante à cause des conditions, de la raideur des pentes, du manque de visibilité et de la complexité de l'itinéraire sans trace pour nous guider. Kürsinger Hütte est un assez grand refuge (70 places) très confortable avec des douches et même un séchoir pour les chaussures et les vêtements mais qui a su préserver un peu du charme des cabanes de montagnes à taille humaine. On est loin des véritables hotels d'altitude que nous avions rencontrés dans la Silvretta qui nous avaient tant déplues. Nous serons une bonne trentaine dans le refuge ce soir ! C'est déjà beaucoup ! On devient presque un peu misanthrope lorsqu'on pratique la montagne comme nous le faisons . Attablés dans le refuge autour d'un verre, nous apprécions notre demi de bière fraîche mais regrettons l'intimité et la solitude de nos abris sans conforts des jours précédents ! Paradoxe des alpinistes !
Avant d'aller dormir, nous échangeons tous les 2 sur la suite et la fin de la GTA10. Après avoir scruté la météo des jours à venir et réfléchi sur les différentes options d'itinéraire, nous prenons la décision d'arrêter la GTA10 à la fin de l'étape du lendemain après l'ascension du sommet du Grossvenediger. Il va faire grand beau demain avant une dégradation forte pour les jours à venir. Inutile d'aller tenter le diable ! Cette ascension nous semble être un magnifique point d'orgue pour notre traversée. C'était une option prévue depuis le départ. L'idée d'arrêter la traversée dès le lendemain nous remue les trippes avant d'aller dormir dans la jolie petite chambre que le gardien nous a attribuée pour cette dernière nuit .
J9 Kürsinger Hütte - Matreier Tauern Haus D+ 1200 D- 2500
Au matin de J9, nous avons un peu de mal à réaliser que nous partons pour la dernière journée de la dernière étape de notre Grande Traversée des Alpes débutée il y a 10 ans !
Les conditions sont idéales pour nous préparer à cette dernière ascension, un peu comme si la chorégraphie de la scène finale de la GTA se mettait en place pour l'apothéose de notre traversée. La lumière du matin filtrée par les nuages allume une à une les crêtes autour de nous. Le ciel se dégage progressivement pour laisser apparaître un horizon bleu de plus en plus profond . Les sommets des Hohen tauern alentours, drappés dans les énormes quantités de neige tombées les jours derniers sont peintes d'un blanc presque irréel. Le sommet élancé du Grossvendiger , objectif de la journée, apparait en contreplongée derrière le soleil, majestueux, immense (Photo ci dessus au milieu). La pointe aiguisée de son sommet sera la mine du crayon qui mettra le point final à l'histoire de notre traversée. Quelle belle ascension pour terminer notre périple ! La journée promet d'être grandiose.
Nous sommes une petite vingtaine à partir du refuge. Nous n'avons plus l'habitude de partager notre route avec d'autres skieurs ! Plutôt que de descendre d'abord sur la moraine avant de remonter ensuite sur le glacier du Venediger, nous choisissons de prendre une route moins exposée et de rester à flanc sans perdre trop d'altitude et ainsi rejoindre directement le col du Venedigger. L'atmosphère est d'une limpidité extraordinaire. Elle nous offre des perspectives spectaculaires . On distingue derrière nous une partie de l'itinéraire que nous avons parcouru péniblement la veille dans le brouillard et la neige pour contourner la haute vallée et rejoindre Kürsinger Hütte. Cela ne semble pas évident vu d'ici !
La longue montée vers le Klein Venedigger (Photo ci dessus à G et au milieu) est facile dans une neige légère sur un glacier en pente douce régulière parfaitement recouvert de neige. Nous suivons la trace des skieurs partis plus tôt ce matin. Suivre une trace ne nous était pas arrivé depuis le premier jour du raid il y a 9 jours ! Nous avons un peu l'impression de voler tant l'ascension des 1200m vers le sommet est rapide ! Cela nous permet de profiter pleinement des paysages incroyables qui se découvrent progressivement autour de nous. La pyramide du sommet du Grosser Geiger que nous avions contourné la veille dans le brouillard attire tous nos regard tant elle est belle avec ses 3 arêtes symétriques (Photo ci dessous au milieu). Nos sacs pourtant, toujours aussi lourds, semblent ne plus peser sur nos épaules. Vu d'ici, l'arc alpin paraît gigantesque !
Nous prenons pied sur sur l'arête sommitale menant en pente douce vers le sommet du Venediger (Photos ci dessus à G et à D) . Après avoir déjoué quelques plaques de glace piégeuses, avoir franchi l'arête un peu aiguisée d'une antécime, nous parvenons à la croix métallique marquant le sommet sous un chapeau de glace à 3690 mètres d'altitude (Photos ci dessous) . Le paysage s'étend à perte de vue, comme pour nous confirmer encore s'il en était besoin de l'immensité de ces Alpes que nous avons traversées. Vers l'ouest on distingue les derniers massifs visités : les Alpes de Ziller, les sommets du Stubai, plus loin les pics de l'Öztal et encore plus loin dans la brume, les crêtes de la Silvretta, les géants de la Bernina et les miriades de massifs suisses, Italiens et français qui constituent le coeur de l'arc alpin. Vers le sud on aperçoit les chateaux forts des Dolomites, leurs soeurs des Alpes juliennes et du Triclav en Slovenie. Vers l'Est enfin, tout près de nous, s'avance le sommet élancé du GrossLockner, point culminant de l'Autriche. Entre lui et nous, serpentent les dernieres langues des ultimes glaciers des Alpes orientales disparaisant progressivement sous les assauts du rechauffement climatique et que nous allons maintenant descendre pour achever cette traversée au coeur du massif des Hohen Tauern !
Nous prenons quelques photos sous la croix du sommet pour marquer ce moment à l'encre bleue et blanche dans nos âmes d'alpinistes. Nous envoyons une signe amical à Nicolas et Antoine, nos chers compagnons de route, qui ne sont pas présents pour conclure ce projet avec nous. La GTA est une affaire de cordée, elle aura été une aventure à 4 entre Nice et le sommet du Grossvenediger. Il est difficile de nous arracher du sommet car nous savons inconsciemment que cet instant marque le début de la fin du voyage. Mais il est malgré tout temps de rechausser les skis et d'entamer la formidable descente (plus de 15km et 2200m de descente) qui doit nous mener à Matraier Tauern Haus en glissant sur les derniers glaciers des Alpes orientales.
Nous rejoignons d'abord le sommet du Klein Venediger le long d'une arête glacée puis basculons dans l'immense pente du beau glacier de Schlagenkees qui s'étale au pied du Rainerhorn (3570m) (photo ci dessus au milieu) . La descente est magnifique dans une neige de rêve (Photo ci dessus à D). Nous frolons la cabane de Neue Prager Hütte, hésitons un instant à nous engager vers le nord sur le glacier du Viltragenkees avant de nous raviser et de nous laisser attirer par d'anciennes traces particulièrement tentantes qui partent plus au sud. Tout semble tellement facile quand la neige est légère, la visibilité est bonne et que le soleil brille! Nous plongeons dans les pentes raides du glacier de Unterer Kees boden avant d'arriver à Innergschloss (Photo ci dessus à D) petit hameau déserté au pintemps, tapi à l'entrée de l'immense vallon qui remonte vers le Venedigger (Photo ci dessous à G). Depuis le départ du sommet, nous sommes à nouveau tout à fait seuls sur ces glaciers sauvages. Tous les autres skieurs sont repartis vers le Nord ou vers le sud en direction des refuges ... mais n'ont pas suivi l'ultime chemin de notre traversée vers l'Est des Hohen Tauern. La fin de cette étape est donc à l'image de tout ce que nous avons recherché pendant 10 ans de traversée des grandes Alpes : des chemins de traverse et de solitude.
Encore ennivrés par cette descente hors du commun et par les parfums déjà nostalgiques de la fin de cette GTA10, nous nous laissons glisser sur la route enneigée qui serpente entre les ravins et les sapins (Photo ci dessus au milieu) vers le fond de la vallée de Matraier. La neige se fait de plus en plus rare au fil de la descente. Nous essayons de glisser le plus longtemps possible, de glisser autant que nous le pouvons sur les névés entre les plaques de terre comme si nous ne voulions à aucun prix admettre la réalité de la fin de cette traversée. Nous devons finalement nous rendre à l'évidence etreconnaitre notre défaîte, déchausser les skis et mettre ainsi un terme définitif à notre Grande Traversée des Alpes à ski.
Nous terminons la journée à pied, sous le regard lointain et respectueux vers l'Ouest du sommet du GrossVenediger d'où nous descendons et vers l'Est des pentes du Grosslockner illuminées par le soleil du soir. Nous sommes seuls dans un silence de cathédrale sur cette petite route perdue du massif des Hohen Tauern, au fond d'une austère vallée encaissée sans habitation, encadrée des derniers névés tristes du printemps. Il règne en cet instant une atmosphère infiniment calme et paisible alors que nous marchons sans un mot vers le terme de notre aventure. Nous avons le sentiment de nous trouver dans une vallée du bout du monde alors que nous savons être en fait si proches des vallées et des agglomérations du coeur de l'Europe . Quel paradoxe !
Après quelques kilomètres de marche dans le fond de cette vallée, nous parvenons au minuscule hameau de Matreier Tauen, point d'arrivée final de notre traversée. Les vallées qui s'y rejoignent partent au le sud en direction de Lienz et de la Slovenie, et au nord à travers cols et tunnels vers Kitzbuhl et Vienne. la GTA est terminée. Il est temps de nous atabler autour d'une bière à la terrasse de la mythique Matraeir Tauern Haus pour laisser reposer nos corps fatigués et décanter nos émotions .... Nous devons désormais organiser notre retour vers Innsbruck puis vers la France. Un sacré périple qui nous prendra 2 jours en taxi, en bus, en train, et en voiture en passant par Mitterstill, Kitzbuehl, Innsbrück, Zurich, Lausanne avant de revenir en France.
La dixième et dernière étape de la GTA est terminée ! .... Notre projet de Grande Traversée des Alpes est achevé....
Vive la GTA !
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