Etape10 : Sölden - Lienz

 

La dixième et dernière étape de notre Grande Traversée des Alpes s'est déroulée au printemps 2024 en Autriche et en Italie à travers le Tyrol et la Carinthie. Au cours de ce long raid de dix jours (128km, 12800m de D+) nous avons traversé successivement les Stubaier Alpen, les Zillertaler Alpen et le parc national des Hohen Tauern . Ces massifs, très peu fréquentés en hiver, nous ont laissé une grande impression d'isolement  et d'engagement.  Nous sommes partis à trois pour cette dernière étape, Thierry, Nicolas et Jean-Luc, et pour la première fois depuis le départ de la GTA il y a 10 ans, l'un de nous a abandonné en cours d'aventure;  Nicolas en petite forme dans la tête  a  décidé au bout de 3 jours de redescendre et repartir pour la France laissant Jean-Luc et Thierry poursuivre seuls la traversée  jusqu'en Carinthie pour parachever la GTA10 et avec elle le projet de la Grande Traversée des Alpes. 

Les itinéraires que nous avions préparés pour cette GTA10 se sont avérés alpins,  engagés, souvent délicats et les retraites particulièrement piégeuses par mauvais temps. Nous avons rencontré des conditions méteorologiques  et nivologiques très compliquées: météo médiocre pour débuter avec une neige incertaine,  puis une période de beau temps  salutaire  après le départ de Nicolas  suivie par une période dépressionnaire intense avec de très grosses accumulations  de neige et une nivologie dangereuse. Il a fallu utiliser notre longue expérience alpine et faire preuve de pas mal de résilience , de réactivité et d'un brin de culot pour pouvoir achever cette traversée.  

 

J1  : Gries am Öztal- Amberger Hütte (D+700)

Après un long périple depuis la France par divers moyens de transport,  nous nous  sommes retrouvés tous les trois à la frontière du Liechtenstein pour terminer le voyage  ensemble en voiture  vers la région d'Innsbrück où nous avons parqué la voiture jusqu'à  notre retour 10 ou 12 jours plus tard. De là, c'est en taxi que nous ravons rejoint le point de départ de la GTA10 à Gries, petit village à l'ouest du massif des Alpes de Stubai.

Pendant la montée vers Gries, le chauffeur nous montre  les dégats  considérables causés par la tornade de l'automne dernier  sur les forêts de l'Öztal.  Le paysage ressemble à un mikado géant,  avec des milliers de troncs d'arbres jetés à terre dans un carpharnaum indescriptible partout où est passée la tornade ,  un véritable carnage. L'après midi est déjà bien avancée  lorsque le taxi nous dépose enfin au bout de la route escarpée qui remonte la vallée du Suztal. Le ciel est maussade. Nous sommes soulagés d'être enfin à pied d'oeuvre pour le départ de cette traversée.  Il y a tellement d'heures de travail et d'incertitude  avant  un tel périple que l'instant  du départ  semble parfois un peu irréel.  Comme souvent dans ces moments, la joie de partir est mêlée à un faisceau d'inquiétudes  et de doutes. La montagne sera t'elle clémente avec nous pendant ce raid ? Sommes nous assez préparés ?  Que vaut l'itinéraire que nous avons tracé ?  Dehors, il ne gèle pas  mais nous ressentons le froid  du vent et  l'humidité qui nous transpercent. Nos sacs à dos pourtant préparés avec soin semblent démesurément lourds (autour de  20 kg), prêts pour au moins 10 jours de raid en autonomie. Le torrent qui descend de la haute vallée  nous enveloppe de sa musique tumultueuse.  Nos corps et nos têtes sont encore engourdis  par le long voyage depuis la France, silencieusement inquiets  par l'incertitude des jours à venir. Les sommets au loin se fondent dans le ciel gris alors que la neige et les glaciers se perdent dans le brouillard. 

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Nous chaussons les skis  sur la piste de ski de fond qui  serpente le long du torrent en s'enfoncant vers le fond de la vallée de Sulz.  L'itinéraire du jour est court, à peine 700m  de dénivellée et 7km à gravir jusqu'à Amberger Hütte où nous avons prévu de  dormir ce soir, un des seuls refuges gardés de notre périple.   La neige mouillée humidifie nos peaux de phoques qui s'alourdissent au fil des pas. Ces premiers instants de raid sont importants car ils permettent  d'évaluer les  sensations, et de peaufiner les  réglages : ajustement des bretelles de sacs, serrage des chaussures,   adaptation de l'équipement, cadencement du pas en fonction de la forme  de chacun et surtout mise  des  esprits  au  diapason de l'effort  en montagne.  La pente est douce en ce début de raid .  Notre pas est lent. 

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La marche est un peu  fastidieuse sur le chemin en pente douce qui semble ne pas finir. La nuit  nous prend presque par surprise pendant la montée comme si nous n'avions pas réalisé  à quel point nous étions lents. Nous retardons l'utilisation de nos lampes frontales sur ce chemin sans difficulté , peut être pour  mieux rentrer dans notre raid dans le silence de la nuit. Nous ne les  sortons que pour gravir les  dernières pentes , juste avant que la lumière du refuge n'apparaisse au détour d'un virage.  Il est 19H30 lorsque nous poussons la porte de Amberger Hütte à 2100m d'altitude, en plein service du dîner . Le gardien  que nous avions prévenu de notre arrivée tardive, nous installe à la hâte  dans l'annexe du refuge en compagnie de 3 alpinistes italiens. Nous sommes presque décontenancés de voir tant de monde.  Ce sera notre dernier bain de foule  (relatif) avant la grande solitude des massifs à venir. La soirée nous donne l'occasion  de rencontrer un petit groupe de  francais , surpris de nous croiser ici,   installés avec leur guide pour une semaine de rando en étoile autour du refuge.  Demain, eux vont rester  au chaud car la météo n'est pas bonne. Notre philosophie est différente.  Nous partirons pour la première  grosse étape de la  GTA10  avec  4 cols à passer et 1700 m de D+ à avaler. 

 

J2 : Amberger Hütte - Hidesheimer hütte (D+ 1700 - D- 1000)

Nous sommes les premiers à quitter le refuge au matin de J2 sous un ciel bas en direction  du glacier de Sulztal.  Nous nous sentons en petite forme : Thierry un peu malade n'a rien  avalé  depuis hier soir,  Nicolas  qui n'est pas retourné en montagne depuis  plusieurs mois n'a pas de bonne sensations  et Jean-Luc est préoccupé par les prévisions météo.  Il gèle à peine lorsque nous traversons le long plat de InderSulze après la légère descente au sortir de la cabane. Rapidement, Jean-Luc se rend compte qu'il a oublié ses crampons au refuge  (Arrrgh!) et il doit  faire un aller retour rapide pour les récupérer. Une petite heure de perdue ! Nous payerons cher cette erreur le soir dans la nuit à la recherche de  Hildesheimer Hütte dans le brouillard au milieu des barres rocheuses. Le ciel est gris en ce début de journée et les prévisions annoncent une dégradation au fil de la journée. Le fond de la vallée apparait par intermittance à travers les nuages. On distingue  la glace bleue du glacier du Windacher, les sommets des Stubaier Alpen occidentales et au loin le Wutenkarstl que nous devons traverser, premier col de la journée 1100 mètres au dessus du refuge. Après une longue montée, nous basculons sur le glacier du Wütenkarferner dans une ambiance un peu fantomatique et peinons à trouver le bon passage  vers Warenkarsharte à 3250m, deuxième col de la journée.  

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Arrivés au col , la descente qui suit est raide et  impressionnante avec  des pentes qui plongent vers  le Warenkarferner. Nous ne savons pas trop par où passer.  Après un moment d'hésitation, Jean-Luc s'engage vers le Nord par  une longue traversée descendante dans une pente de plus en plus raide, passe un premier verrou grâce à  une série de virages serrés,  puis un deuxième,  poursuit sa descente à la recherche du plus juste passage.  La neige inégale et meuble de ce versant Est provoque des départs de coulées sur notre passage.  Après un enchainement de zigzags dans les barres , on débouche  sur un couloir  raide qui s'élargit  comme un  entonnoir jusqu'au plat du glacier (Photo ci dessous à G).  C'est  avec un certain  soulagement  que nous atteignons le glacier !  Les sacs nous paraissent soudain bien lourds,  peut être à cause de l'influx que nous avons laissé dans ce passage.   Thierry n'a toujours rien pu avaler  de la journée! .... Nous poursuivons notre route en dessinant  un grand arc de cercle sur le glacier Warenkarferner . 

Les 300 mètres de montée vers le Eisjoch nous semblent interminables.  La fatigue commence à se faire sentir avec déjà plus de 1500m de D+ au compteur  depuis le début de la journée dans une meteo opressante !  La neige redouble d'intensité. Le vent ne nous accorde aucun répis. Le froid se fait plus vif. La lumière  commence à baisser.  Nous pensons  le refuge à portée de skis, ce qui est une erreur. La trace GPS que nous avons préparée  pour accéder au refuge en suivant grosso modo le chemin d'été est beaucoup trop exposée pour passer en hiver dans ces conditions de neige.

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Nous descendons  donc d'abord  dans une combe  .... puis essayons de traverser à flanc pour accéder au pied du piton sur lequel est situé  le refuge. La pente devient rapidement beaucoup trop dangereuse  pour pouvoir poursuivre.  Il faut changer d'option. Nous savons que la cabane est  proche, 150 mètres au dessus de nous, quelque part à portée de skis, si près sur la carte, si loin pourtant.  Nous sortons les frontales  car la nuit est tombée entre temps  ce qui ne nous plait guère ! Il convient désormais d'improviser et s'en remettre à notre sens de la montagne  pour trouver le bon passage vers le refuge.  Nous ne sommes  pas vraiment pas sereins. Ce sont des moments où le mental prend le pas sur le physique. Jean-Luc met les couteaux et monte  dans un couloir pensant  trouver une sortie par le haut,   il franchit une petite épaule  neigeuse raide, monte, hésite, traverse, puis  renonce et redescend.  L'idée d'un bivouac forcé  commence à germer  en silence dans nos esprits sans qu'aucun mot ne soit prononcé.  Nicolas reste en arrière  ce qui est inhabituel dans ce genre de situation délicate.  Thierry, malgré son manque d'alimentation  pendant la journée trouve l'énergie pour  s'engager dans une nouvelle  tentative en revenant légèrement en arrière , il s'élève pas à pas vers une crête  dans une zone en mixte. On distingue le faisceau de sa frontale qui balaye le brouillard, monte et s'éloigne.  Il réussit à passer.  Nous le rejoignons sur la petite arête avant de redescendre ensemble sur l'autre versant  dans  un terrain  délicat. 

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   Nous avançons dans 30cm de neige poudreuse fraichement tombée en nous orientant  au mieux du relief dans la nuit. Nos lampes frontales illuminent les innombrables flocons  qui ressemblent  à des milliers d' insectes afollés par les faisceaux de  nos lumières. On distingue bientôt au loin une masse noire  qui se détache mystérieusement  à la frontière du brouillard et de la nuit.  Ce sont les contours de Hildesheimer hütte, perchée sur un  nid d'aigle à 2900m d'altitude  battue par les vents et protégée des assaillants par  de formidables protections naturelles . L'aigle s'est bien défendu ! La paillasse sera douce, nous n'aurons pas à bivouaquer ce soir.  

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Il est 20H30 lorsque nous pénétrons  dans le petit refuge d'hiver au bout  du bout d'une arête de neige exigue.  Personne n'a séjourné dans cet endroit peu accessible depuis le début de l'hiver si l'on en croit le registre du refuge.  Il fait froid à l'intérieur mais l'air nous semble doux dans la cabane de tole,  protégé du vent incessant qui souffle à l'extérieur. Nous allumons immédiatement le poele, mettons de la neige à fondre (Pas facile d'aller chercher de la neige dehors en équilibre sur notre arête balayée par le vent)   et préparons une soupe chaude sur le rechaud pour commencer à restaurer nos corps fatigués.   Thierry, mal en point, ne peut toujours rien avaler ! Sera t'il en état de repartir demain?   La journée a été  longue et difficile pour nous tous. Il est primordial de bien récupérer cette nuit. Nous espérons que les bonnes prévisions  meteo prévues pour le lendemain se confirmeront. L'itinéraire planifié pour J3 est long, engagé, et alpin. 

 

J3 : Hildesheimer Hütte - St Jacob (+700 -2000)

Quand nous nous réveillons au matin de J3, le ciel est  enfin dégagé au coeur du  massif du Stubai  immaculé par  les chutes de neige de la nuit.  En sortant du refuge,  l'impression est assez saisissante; nous sommes  en équilibre  entre terre et ciel sur une arête aiguisée plongeant d'un coté vers la Siegerlandtal et de l'autre vers le glacier  de Pfaffenferner.  La toute petite cabane d'hiver en tole de Hildesheimer Hütte (Photo ci dessous a G)  est surmontée d'une mystérieuse boule rouge, comme s'il était besoin d'alerter les avions pour  qu'ils ne la  heurtent pas ! La nuit a été  plus ou moins réparatrice. Thierry a recommencé à manger un peu , c'est une bonne nouvelle.  Jean-Luc a peu dormi.  De son côté, Nicolas ne se sent pas vraiment mieux, préocupé par sa forme, et par l'engagement de l'tinéraire  à venir... .  Cela ne lui ressemble guère, lui l'infatiguable alpiniste au mental en acier trempé ayant surmonté tant d'épreuves en montagne, visiteur de l'Everest et vainqueur de la face sud de l'Annapurna ! 

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Avant de quitter le refuge, nous réfléchissons  aux chemins  alternatifs qui nous permettraient d'alléger l'étape. Nous décidons finalement de modifier notre itinéraire  en prenant  une route par  le nord qui nous offre plusieurs options : celle de  rattraper l'itinéraire initialement prévu  au sommet du Wildefreier  à 3500m ,  celle  de  couper l'étape en 2 si nécessaire  en dormant au tout petit bivouac  Müller perché sur une arête à 3300 m d'altitude  ou bien  encore celle  de tenter de redescendre depuis la souricière du versant nord des Alpes de Stubai  vers la vallée d'Innsbrück et le col du Brenner.  

Nous quittons Hildesheimer Hütte alors que les rayons du  soleil commencent  tout juste à lécher le refuge et plongeons un peu à l'aveugle dans un couloir raide à l'aplomb de la cabane vers  le glacier de Pfaffenferner 200m plus bas. Avec les accumulations de neige de la veille, il faut rester particulièrement vigilant pour ne pas nous laisser entrainer dans les petites coulées d'avalanche que nous provoquons dans le couloir.   Parvenus sur le replas du glacier, nous remontons les belles pentes vierges  du glacier de Pfaffenferner (voir photo ci dessous )  en direction de Pfaffenjoch et du  sommet de Zuckerhütl encadré par les extraordianaires arêtes aériennes du Stubai. 

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Arrivés au col (photo ci dessus à D), nous laissons le sommet du ZuckerHütl sur notre droite pour nous engager  sur la langue glacière de Sulzenauferner.  La descente au coeur de l'immense  versant nord des Alpes de Stubai à travers les séracs  est grandiose  sans une seule trace à perte de vue.  On se sent minuscules et fragiles.  Thierry qui reprend progressivement de l'énergie au fil de la journée, s'en donne à choeur joie dans la descente  (photo ci dessous à G) .  Nicolas,  toujours en plein doute, s'interroge  de plus en plus sur la suite du raid et nous en fait part.  Il est vrai que même avec ce beau beau temps, notre itinéraire demande une attention constante pour éviter les pièges des crevasses et des coulées  sur ce glacier piégeux.  Afin de sortir de la zone exposée et pouvoir nous poser au plus vite pour faire le point ensemble, nous négligeons une traversée  a flanc vers le Fernstube qui nous aurait épargné  au moins 200m de D+ et décidons de descendre directement  jusqu'au lac du glacier de Sulzenauferner dans des pentes avalancheuses  raides réchauffées par le soleil  (Photo ci dessous à D). Nicolas nous annonce à ce moment  son  souhait d'abandonner la traversée au plus vite  dans la mesure où sa décision ne remet pas en cause la suite de l'aventure pour nous. C'est la douche froide pour Thiery et Jean-Luc !  Le sommet du Wildefreiger dominant le glacier du Fernstube que nous devions remonter nous tend les bras. Le petit refuge de Muller hütte accroché à ses arêtes semble nous faire un clin d'oeil au hasard d'un rayon du soleil qui le fait scintiller.  Après une discussion pour tenter sans grande conviction de faire revenir Nicolas sur sa décision, nous décidons d'interrompre notre étape du jour et d'essayer de redescendre ensemble au mieux dans la vallée. Pas vraiment d'autre choix ! 

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Assis au soleil à coté du lac, encore secoués  par l'annonce de Nicolas, avant de nous lancer dans la descente,  nous prenons le temps d'un long échange sur notre pratique de la montagne,  sur notre appréciation et notre acceptance au risque, sur l'évolution de notre mental avec les années, sur les origines de notre motivation en montagne,  sur les mécanismes de la peur et de la confiance, sur les liens entre le mental et le physique, sur nos épreuves respectives en montagne et ce que nous en avons appris, sur la dynamique de cordée , sur l'émotion de devoir scinder le groupe, ... et aussi bien sûr sur les options possible pour la suite : Comment redescendre au mieux vers Stubaital  dans ce terrain raide, complexe  et avalancheux ?  Comment rentrer en France  pour Nicolas ?  Thierry et Jean Luc vont ils pouvoir rejoindre  dès ce soir  la cabane prévue  au fond de la vallée de St Jacob afin de ne pas perdre le fil de la traversée et  le créneau météo favorable du lendemain ? Beaucoup de questions sans réponse ! 

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La descente  vers la Stubaital est longue et délicate, d'abord jusqu'aux abord de la cabane de Sulzenauhutte fermée l'hiver car d'accès beaucoup trop dangereux, puis dans une pente compliquée à négocier  entre les barres rocheuses  et les couloirs d'avalanche sous le refuge  pour rejoindre le plateau du Sulzaubach (Photo ci dessus à D). Après le verrou du plateau, nous devons encore descendre  à flanc de montagne  dans des pentes particulièrement  raides  exposées au nord  sur un semblant de chemin d'été  vertigineux encore  à moitié enneigé  sur lequel il faut être très très vigilants, jusqu'à croiser un couloir d'avalanche  (Photo ci dessous à G) qui nous permet de  perdre de l'altitude et de descendre directement vers le fond de la vallée  de Stubaital.  Arrivés dans la vallée,  nous rattrapons la route qui descend de la seule station de ski des Alpes de Stubai et rejoignons ainsi  un réseau de  bus  qui nous permet de gagner assez facilement la gare d' Innsbruck.  C'est dans le grand hall triste de Zentral banhof que nous nous séparons avec Nicolas (Photo ci dessous au milieu). Lui va rejoindre la France au mieux (finalement dans un bus de nuit qui mettra 24H en passant par Cologne et Strasbourg), nous (Thierry et Jean-Luc) attrapons  sans attendre un train puis un bus pour le col du Brenner, puis Sterling et St Jacob en Italie, ce qui nous permet  de rejoindre notre itinéraire à l'entrée des Zillertaler Alpen.  Un petit miracle ! Une fois de plus, nous sommes impressionnés   par  l'organisation, la qualité et la ponctualité des réseaux de bus  et de trains des Alpes suisses, italiennes et autrichiennes ! 

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Parvenus  à St Jacob am Pitschtal en bus à la tombée de la nuit,  nous poursuivons  à pied  un peu plus en amont  dans la vallée (Photo ci dessus à D), traversons  le minuscule hameau de Stein baigné par  des odeurs capiteuses de traite, de bétail et de fourages ,  avant de rejoindre à la lisière de la forêt  le gîte  ou nous avons réservé pour la nuit .  La GastHaus  Stein a un  charme assez  irréel  avec sa facade blanche éclairée par la lumière de la lune qu'on dirait imaginée dans un conte pour enfant . L'intérieur de l'auberge est à l'avenant avec son invraissemblable plancher en bois brut irrégulier sans âge, son immense poele en fayence colorée qui  réchauffe  la maison, sa décoration intérieure  défraichie élimée par les années , et  son installation électrique sans âge avec ses interrupteurs en porcelaine et ses fils en tissu dégarni.  L'ensemble est tenu d'une main de fer par la maitresse des lieux, Isolde,  héritière de la  famille propriétaire de ce lieu  du bout du monde depuis  20 générations, qui nous accueille en allemand bien que nous soyons ici en Italie avec un mélange de rudesse, de familiarité  et de gentillesse. Nous sommes ses seuls hôtes ce soir ! Elle nous autorise donc à  étaler nos affaires pour les faire sécher et les réparer au beau milieu de la salle à manger en attendant  de servir à diner. Vu l'heure tardive,  Isolde  a décidé de ne nous servir  que quelques tranches de Spek délicieusement parfumé avec des Kartoffeln  braisées et  un morceau de Strudel comme dessert. Nous n'avions qu'à arriver plus tôt si nous voulions un diner plus élaboré!  Cela nous comble déjà amplement en comparaison de nos habituelles "pâtes au poivre" et nos compotes. Notre repas  est en lui même un concentré  de l'histoire et de la culture de cette région si particulière qu'est le Südtyrol, à savoir un mix du meilleur de l'Italie et de l'Autriche.  

Assis à notre table à coté du poêle, nous récupérons doucement de notre journée,  encore un peu groggys des évènements et marqués  par  l'ascenseur émotionnel que nous avons vécu : entre l'excitation magnifique des arêtes aériennes des Alpes du Stubai  du matin  et la séparation difficile et triste avec  Nicolas l'après midi  dans le hall de Zentral banhof à Innsbrück,  entre la poudreuse merveilleuse du Sulzferner et l'austérité dangereuse  de la descente  vers Stubaital dans les barres rocheuses  et les couloirs d'avalanche.  Que de contrastes !   Le roman de la GTA doit continuer  de s'écrire à 2.   Nous allons désormais repartir vers l'Est pour parachever la GTA. Nous devons à nouveau préparer le trajet pour les longues étapes  des jours à venir, vérifier les traces, les vivres,  nous projeter  dans l'univers engagé du massif des Alpes de Ziller,  sans oublier de  réparer  nos bobos et le matériel endommagé  (Chaussure cassée pour Jean-Luc et réglages de peaux et de fixation) . L'aventure continue. 

 

J4 Stein - Fürtschagl hütte  (D+ 1400m D- 700m)

 Au matin de J4, nous quittons l'accueillante GastHaus Stein  sous un ciel d'un bleu qui fait du bien à l'âme. Le temps d'une photo souvenir prise par  notre hotesse Isolde devant son auberge,  nous partons, skis sur les sacs, vers  la  forêt qui couvre la haute vallée de Pfitschtal.  Suite au départ de Nicolas, nous nous sommes répartis le matériel commun qu'il portait, indispensable pour poursuivre notre raid. Le poids de son absence ne pèsera donc pas seulement sur notre mental mais aussi sur nos épaules !  Nous cheminons lentement  au fond de cette vallée reculée et sauvage dans laquelle aucune trace, aucune remontée ni aucune voiture  ne viennent  perturber la quiétude du paysage dominé par les premiers sommets  des Alpes de Ziller. Au loin,  nous apercevons une horde de chamois qui se réchauffent aux  rayons du soleil du matin.   Nous marchons l'un derrière l'autre sur le chemin d'été qui s'élève doucement entre les sapins et les torrents. La neige gelée crisse sous nos chaussures. Le rythme calme de nos pas n'est perturbé que par les rayons du soleil qui traversent les sapins par intermittance et illuminent nos corps en mouvement. La belle sérénité  de ce sous bois  nous aide à remettre  nos têtes dans le bon sens, comme par magie. 

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En sortant de la forêt après une petite heure de marche,  la  couche de neige devient assez régulière pour chausser les skis. Nous décidons de ne pas suivre la trace  GPS que nous avions préparée  vers Pfitshenjoch, bien trop exposée à travers des barres rocheuses déjà chauffées par le soleil  (c'est bien d'avoir de la visibilité !) et préférons nous engager  à vue en direction des grandes pentes sud (Photo ci dessous milieu), ce qui nous forcent  à monter largement au dessus du col pour ensuite redescendre par  la crête vers le point le plus bas.  Que  de conversions pour gravir  ces pentes raides  dans une neige tantôt ramollie par le soleil du matin , tantôt dure et  glacée lorsque les rayons ne l'ont pas encore carressée ! Les couteaux, installés sur les skis au bon moment, sont  essentiels pour ne pas perdre trop d'energie dans l'ascension.  Arrivés sur la crête, nous nous laissons glisser jusqu'à Pfitschenjoch  (Photo ci dessous à D). La vue  sur les faces Nord des sommets des Zillertaller  occidentales surplombant Pfitschtal sont impressionnantes.  Quelles montagnes majestueuses ! Nous savons  qu'à partir de ce point, l'engagement devient important particulièrement si la meteo venait à tourner.  Nous sommes  seuls dans ce massif  si peu accessible en hiver....

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La neige porte bien en redescendant de  Pfitschenjoch, ce qui nous permet de glisser rapidement  dans la longue vallée de SamserGrund  (Photo ci dessous à G) qui s'étire sur des kilomètres  jusqu'au  lac de barrage de Schledeisspeicher.  La même descente dans une neige poudreuse ou collante nous aurait  demandé  beaucoup de temps !  En été, les voitures arrivent  jusqu'au lac de barrage en remontant sur des dizaine de kilomètres la haute vallée de Zemmtal qui longe le massif des Zillertaler Alpen par le nord depuis Ginzling. Entre octobre et juin, cette haute route est fermée, impraticable, coupée par la neige et les avalanches. En cette période de l'année, l'endroit est donc absolument désert, beaucoup trop compliqué d'accès pour attirer les skieurs de montagne  et les alpinistes .  Après avoir dépassé le barrage, nous suivons la branche sud du lac (Photo du milieu ci dessous) pour arriver  au coeur de la haute chaine des Alpes de Ziller dans la haute vallée du Schlegeisbach  (Photo ci dessous à D) dominée par les multiple langues glacières du Schlegeisskees. L'impression d'isolement est particulièrement forte. Le  refuge de Furschtagl où nous avons prévu de  dormir ce soir est situé sur le versant Ouest,  au dessus  de l'impressionnante  moraine qui sélève plus de 400 mètres au dessus du fond de la vallée. On a du mal  à imaginer  que cette moraine fut  un jour complètement remplie de glace  et  que les langues des glaciers venaient encore lécher  le lac  il y a seulement  30 ou 40 ans ! 

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En cheminant au fond de la vallée , nous assistons un peu ébais à une succession d' énormes avalanches qui  dévalent littéralement  depuis le versant Est de la vallée (Voir photos ci dessous) en  balayant toute la face. Elles nous frôlent.   On sent leur souffle,  on entend leur bruit indescripible de fracat sourd, on est saisi par leur odeur acre, étrange  mélange de neige, de glace, de terre  et de pierres qui dégeulent  dans la  face .  On appelle ce type d'avalanches des "avalanches de fond" car elles emportent  tout le manteau neigeux  sur leur passage jusqu'à la terre.  Elles sont suivies d'autres coulées, plus petites mais presque continues. Les énormes volumes de neige déplacés couvrent le fond de la vallée  de grumeaux de neige épais et sales sur plusieurs centaines de mètres  de largeur et peut être 7 ou 8 mètres d'épaisseur .  On se sent  minuscules et vulnérables. Le silence qui succède à la  fureur de ces avalanches  est glacant, un silence de désolation. Comme si la montagne se taisait un instant par respect pour le rugissement du fauve et de peur qu'il ne rugisse encore. 

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Après pas mal d'hésitation, nous décidons d'attaquer droit dans la pente sur le versant ouest de la moraine en suivant plus ou moins l'axe du petit monte charge qui va droit vers le refuge de Furtschagl hütte, utilisé probablement l'été pour le ravitailler.   La neige  transformée  par le soleil tient  mal sous les skis avec la raideur de la pente. Nous remontons des couloirs  en neige pourrie, traversons des goulottes  ravinées, enjambons  des passages en herbe  ou en rocher dans lesquels  la neige ramollie par le soleil de l'après midi a déjà dévalé.  Dans les traversées de couloirs, on se fait léger léger pour essayer de ne rien déclancher. Nous ressemblons à  des funambules  en équilibre sur le fil d' une pente instable (Photo ci dessus au milieu et D) . En bruit de fond, on entend toujours les avalanches et les pierres qui dévalent sur l'autre versant de facon presque ininterrompue. Nous ne sommes vraiment pas sereins. Après une  heure et demi d'ascension tendue, nous débouchons sur la lèvre supérieure de la moraine et apercevons peu après le refuge au loin sur un replas illuminé par le soleil. 

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Le minuscule refuge d'hiver est situé sous le grand refuge d'été  qui est lui fermé (Photo ci dessus à G) . Il est très sommaire, en mauvais état, sale, soutenu par des étais et des planches comme s'il risquait de s'écrouler ! L'essentiel est la mais guère plus :  une porte qui ferme mal, 6  petites couchettes un peu humides, quelques couvertures trouées,  une grande casserole cabossée pour faire fondre la neige, un petit poêle sans âge,  une table instable, 2 chaises et un banc cassé (Photo ci dessous à D)  . Il n'y a  malheureusement que très  peu de bois pour  alimenter le poele et  donc pour réchauffer la pièce !! Nous trouvons  heureusement quelques  planches de sapins humides qui trainent dans le refuge, surplus probable de la réparation de fortune qui a été faite il y a quelques années pour éviter que le refuge ne s'afaisse. Thierry se charge de les fendre soigneusement  une par une  à la hache avec patience en buchettes de tous diamètres pour réussir à  allumer le poele, ce qui n'est pas une mince affaire .... Il s'y reprend à plusieurs fois. C'est un vrai soulagement  quand le poêle se met enfin  à ronronner doucement et à remplir la pièce d'une chaleur réconfortante.  Nous pouvons commencer à penser au diner. 

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Dehors, un beau coucher de soleil embrase de rose les sommets qui nous surplombent, le premier auquel nous assistons depuis notre départ . Au loin, on distingue les crêtes du  Grand Möseler que nous devons traverser le lendemain  pour basculer vers l'est. Elles paraissent bien raides ! Les prévisions météo ne sont pas  très bonnes. Le dîner à la lueur de 2 petites bougies est simple et frugal  sur la table bancale  du refuge : soupe, pâtes au poivre et compotes. Nous parlons peu. Le poêle s'est vite éteint faute de bois et la température a très vite chuté dans le refuge.   Le temps d'une tisane, d'une gorgée d'Armagnac reconfortante, d'un check rapide pour s'accorder sur les options d'itinéraire importantes  de la course du lendemain et nous  partons  nous réchauffer dans les couchettes après cette longue journée. 

 

J5  Furtschagl Hütte - MoselercharteW -Furtschagl Hutte (D+ 1300 D-1300)

La nuit a été fraiche, emmitouflés dans nos vêtements et les couvertures sans âge de la cabane.  Le ronronnement de la flamme du réchaud  au réveil nous motive pour nous lever et affronter  le froid du refuge. Au matin de J5, nous préparons notre équipement  à la  lumière de nos lampes frontale  (Photo ci dessous à G) en prévision d'une journée potentiellement délicate et piégeuse : corde immédiatement accessible, crampons au dessus du sac  et équipement pour le mauvais temps  à portée de main immédiate . Le soleil n'est pas encore vraiment levé lorsque nous quittons le refuge sous un  ciel mi noir mi gris !  L'ambiance est austère au milieu du grand cirque glacière de Furschtagel. La petite couche de neige tombée pendant la nuit ajoute une touche de mystère à l'atmosphère froide  du début de l'ascension. Après une longue traversée à plat pour éviter des pentes dangereuses et basculer sur le bon versant du cirque, nous nous engageons dans une pente raide sur une sorte d'éperon en direction du bas du glacier de Furschtagel (photo ci dessous à D).

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Parvenus sur le glacier, le plafond de nuages s'abaisse d'un coup. Nous remontons le glacier  dans un brouillard épais pour chercher  le meilleur accès vers le  GrossMöselerpass situé encore  loin au dessus de nous. La montée est difficile, le glacier crevassé et l'itinéraire de la trace GPS que nous avons préparée compliqué à suivre. Il nous faut beaucoup  de temps pour parvenir au pied de la pente sommitale puis pour trouver l'itinéraire qui nous permet d'atteindre la crête  à 3450m d'altitude.  La crête sommitale est  aérienne et le manque absolu de visibilité rend le cheminement  particulièrement incertain.  Nous navigons un peu à vue sur l'arête aiguisée du Grand Möseler, balottés par le vent et la neige qui s'est remise à tomber. L'ambiance est très hivernale (photo ci dessous à D). La descente derrière la crête est impressionante !  Nous hésitons un long moment sur le meilleur passage à suivre versant Sud-Est ainsi que sur la méthode de descente  ( à ski ou en crampons). Toutes les options semblent délicates et très exposées. Ce n'était pas ce que nous avions prévu !

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Après plusieurs  aller -retour  le long de la crête pour évaluer la situation,  nous décidons de  mettre les skis sur les sacs, de chausser les crampons et de descendre piolet en main dans une  pente assez vertigineuse à l'aplomb du col (Photos ci dessous a G et milieu). Nous espérons pouvoir ainsi  déboucher 200 mètres plus bas au niveau de la rimaye  sur le glacier du Möseler.  Chaque pas de cette descente face à la pente, arrimé à notre piolet, est dangereux dans une neige meuble en surface au dessus d'une pellicule de glace difficile à cramponner.  Nos sacs, avec les skis dessus pèsent largement plus de 20 kilos ! C'est lourd pour un tel exercice d'équilibrisme. Nous avons déjà 1200m de dénivellée   dans les pattes depuis ce matin . Thierry devant, fait la trace marche après marche  avec application et régularité.   La neige ne porte pas bien. Certains passages mixtes demandent beaucoup d'attention. Il nous faut un long moment pour parcourir la  première partie de la pente  que nous avions  identifiée  depuis la crête. Au bout d'une bonne heure de descente, nous arrivons au dessus d'une barre rocheuse infranchissable,  invisible depuis le haut avec le brouillard.

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Nous décidons  de  franchir cette barre rocheuse  en posant un rappel  sur un petit becquet incertain  en espérant que nos 50 mètres de cordes seront suffisants pour franchir  le ressaut.  Avec le brouillard, il est très  difficile de se rendre compte des distances  et d'évaluer si notre corde est assez longue pour passer ! Jean-Luc s'engage en premier dans ce rappel, descend  doucement jusqu'au  bout de la corde, crampons sur la paroie .  Il se  retrouve bientôt pendu 25 mètres plus bas dans une ambiance verticale de glace et de rocher, mais encore à une bonne quinzaine de mètres au dessus du pied de la paroie.  "Continue"crie Thierry  ! "Bout de corde " crie jean-Luc !  Dialogue de sourds. Aucun des deux  n'entend les mots de l'autre couverts par les hurlements du vent. Il faudrait tirer un deuxième rappel sur un relais hypothétique pour passer la barre rocheuse. Trop risqué  et trop aléatoire avec le matériel dont nous disposons ! Jean Luc décide de remonter lentement et péniblement jusqu'au relais  où il retrouve Thierry, un brin énervé de l'issue de cette tentative et de la difficulté de communication... Les échanges se tendent souvent en montagne dès l'instant ou les difficultés surviennent ! La  neige redouble et le froid mord un peu plus.  Nous reprenons un peu nos esprits, essayons de calmer le stress de cette situation inconfortable  et décidons  de traverser à niveau pour chercher une autre issue.  L'ambiance est toujours aussi impressionnante, probablement amplifiée par le mauvais temps qui nous empêche d'évaluer justement les difficultés et de trouver les bons passages.  Nous avancons  sur les pointes avant de nos crampons sans vraiment  voir à plus de 10m devant nous.  Une grande traversée vers la gauche se solde par une nouvelle impasse dans un autre cul de sac infranchissable.  D'un commun accord, nous décidons alors de remonter vers le col 150m plus haut pour chercher un autre passage. La météo ne s'améliore pas du tout et l'heure tourne irrémédiablement. Il est déjà presque 15H lorsque nous basculons à nouveau sur la crête.   

Que faire maintenant ? Est il encore temps  de nous relancer dans une autre tentative ? Avons nous encore assez d'énergie et d'influx pour  nous engager  de nouveau dans la pente   ... ou bien n'est il pas  préférable,  compte tenu des conditions qui se dégradent , de l'heure  qui avance  et de la fatigue accumulée,  de prendre la décision de battre en retraite et de revenir vers le refuge. On essaye d'évaluer les conséquences de la décision que nous devons prendre sur la suite de l'aventure.  Ces moments sont difficiles. Si nous  rebroussons chemin , nous risquons d' être coincés  au refuge  le lendemain  à cause  des accumulations de neige . Cela remet aussi en question toute la suite de notre itinéraire !  Nos échanges sont francs, brefs, durs, faussement assurés .... Le processus de  prise de décision  en montagne dans une cordée est très intéressant,  c'est le fruit d'une combinaison de facteurs multiples faits  d'expérience, de confiance et connaissance mutuelle, de capacité technique, de maitrise des émotions, d'engagement vers l'objectif,  d'état mental, de forme physique,  de fatigue, de psychologie et d'envie. On s'engueule un peu, on n'est pas d'accord, on s'influence, le stress s'exprime, la balance penche d'un côté, de l'autre  .... et soudain, l'équilibre fragile de l'indécision bascule pour qu'une décision soit prise, retenue par un fil ténu mais qui emporte le tout .... Elle devient la meilleure, la seule, l'unique ... dans laquelle nous nous engageons à 200%.  

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Emoussés par le vent et la fatigue, vaincus  par le brouillard et la visibilité de plus en plus déclinante, nous décidons  la mort dans l'âme  de  redescendre vers le refuge de Furtschagl d'où nous sommes partis ce matin. La retraite  est assez compliquée, rendue dangereuse à la fois par les conditions très difficile et par le risque de  baisse de notre niveau d'attention à cause de la frustration  (Photos ci dessus  au milieu et à D). Nos traces de montée  qui auraient du nous servir de fil d'Ariane  pour nous guider dans la descente ont  évidemment disparu sous la neige et  le vent. Les crevasses ne sont plus visibles non plus.  Nous navigons  à la boussole et au GPS en tentant  de rester à vue  l'un de l'autre dans une purée de pois indéfinissable.  Le moral est au plus bas.  On  évoque l'abandon  pur et simple  de la GTA10 puisque nous sommes  coincés dans ce cirque inhospitalier transformé en véritable souricière!  L'idée d'une nouvelle nuit dans le local d'hiver  un peu délabré de Furtschagl dans lequel il n'y a plus de bois  pour nous réchauffer est déprimante!   Malgré l'assistance précieuse du  GPS, nous peinons  à trouver notre  route  vers le refuge et nous faisons piéger plusieurs fois par les illusions d'optique et le  brouillard, ce qui nous oblige à remettre les peaux pour  sagement éviter un couloir piegeux qui semblait nous tendre les bras. 

Nous arrivons au refuge  vers 18H, largement entamés par  cette journée intense et sans répi, frustrés de ne pas avoir réussi à franchir la crête  du sommet du Grand Möseler que nous pensions sans difficulté particulière et de nous retrouver  à nouveau  dans cette piece sombre et froide sans trop savoir comment gérer la suite de l'aventure.  Par miracle, au milieu de notre dépit, nous  dénichons quelques vieilles petites planches de bois gelées à moitié pourries  sous l'armature du refuge qui nous permettent d'allumer  brièvement  (non sans difficulté)  le poêle, de faire fondre un peu de  neige sans consommer trop de gaz , de réchauffer légèrement l'intérieur de la pièce et de recharger un peu nos batteries intérieures qui en ont bien besoin.  Nous allumons les bougies  pour égayer la pièce triste  ainsi que  le réchaud pour faire bouillir  de l'eau.  Nous prenons le temps de nous poser  en silence pour récupérer des efforts de la longue journée, pour  faire retomber l'adrénaline de la tension qui ne nous a pas vraiment quitté de la journée  .... puis  nous entamons  la préparation du diner  qui ressemble à s'y méprendre à celui de la veille (!) mais que nous goutons pourtant avec délice. Grâce à ce moment de récupération salutaire, grâce à ce phénomène miraculeux qu'est la réaction du corps et de l'esprit à l'arrivée au refuge en montagne,  nous retrouvons peu à peu l'énergie et l'envie pour   remettre l'ouvrage sur le métier et nous plonger dans les cartes  des Alpes de Ziller à la recherche d'un itinéraire  qui nous permettra de poursuivre notre GTA en évitant le Grand Möseler infranchissable dans ces conditions . 

L'imagination et l'audace  sont des  qualités  essentielles en Haute Montagne pour savoir se sortir de situations apparemment  bloquées.  En l'ocurrence, notre seule option consiste à  sortir complètement du cadre des itinéraires envisagés  lors de la préparation et d'imaginer  une nouvelle route en considérant toutes les options techniquement possible pour quitter ce satané cirque glacière de Furschtagl.  Tout d'un coup, une éclaircie apparait de nos échanges, lumineuse comme la solution  d'une équation qui semblait insoluble. Et si nous tentions de passer par le tout petit col de  schlegeissharte au sommet d'une petite langue glacière suspendue. Le passage ne  parait pas trop raide ! Si nous osions nous engager dans la  longue traversée  de tout le cirque glacière de Furtschagl, franchissions un premier col avant de replonger sur le glacier et de remonter  plein sud le long d'une  chute de séracs vers une étroite  langue glacière  qui semble déboucher sur la  petite fenêtre miraculeuse de Schlegeissharte. Cet itinéraire , s'il nous souriait, pourrait  ouvrir les portes de l'Ahrntal  en passant par le sud et débloquer la route vers la suite  de la traversée  .... En tout cas, cette solution  mérite d'être tentée . Cette idée  simple suffit à faire renaitre  en nous l'espoir d'une suite pour la GTA 10. Elle apaise nos sens à fleur de peau au moment de tomber dans un sommeil réparateur. Les dernières prévisions météo pour le lendemain (datant d'il y a 3 jours )  semblent favorables. 

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J6  Furstchagl hütte - Lappach - Prettau an Ahrntal  D+ 1300 D- 2300

Lorsque le réveil sonne au matin de J6,  nous émergeons d'une nuit qui nous a paru longue et froide. A l'extérieur,  il ne fait pas encore jour mais à travers la fenêtre, on devine un ciel limpide et glacial qui annonce les prémices  d' une très belle journée. De la neige a saupoudré l'intérieur de la cabane  à cause du vent et de la porte d'entrée qui fermait mal malgré le  manche à balais que nous avions installé pour la bloquer.  L'eau a gelé dans la bassine de fonte d'hier soir.   Heureusement que nous avions déjà préparé nos gourdes pour la journée.  Les premiers rayons du soleil apparaissent au loin  dans le rosé du ciel comme la promesse d'une renaissance mystérieuse.  J'ai souvent  été  étonné du pouvoir réparateur du sommeil des nuits en refuge ou en bivouac,  même quand on y dort très mal,  mais plus encore j'ai toujours été stupéfait du pouvoir amnésique des rayons du soleil  sur nos doutes  d'alpinistes lorsqu'ils embrasent les sommets et les faces au petit matin , balayant comme par enchantement beaucoup de nos inquiétudes.  Nous préparons  nos affaires à la hâte,  bouclons nos sacs,  balayons le refuge en pensant à nos improbables successeurs.  La pyramide du Grand Möseler la haut nous fait un clin d'oeil presque  narquois quand le soleil l'allume. Nous ne la regardons même pas, l'esprit tourné  vers l'itinéraire que nous avons décidé de suivre. La muraille des zillertaler occidentales cette fois ne devrait pas nous résister ! 

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Les premiers rayons du soleil viennent  tout juste carresser  les plus hauts sommets lorsque nous nous mettons en marche  (Photo ci dessus à G) . Nous faisons la  trace dans une neige changeante  encore poudreuse  et instable dans les versants abrités, déjà croutée sur les versants où elle a été travaillée par le vent du nord. L'ambiance est assez grandiose  sous le regard des  Faces Nord des sommets des Alpes de Ziller  dont on a du mal à mesurer  l'ampleur tant elles sont impressionnantes dans la lumière rasante du matin .  Nous contournons la chute de seracs du glacier de Furtschtal, traversons les arêtes d'un petit sommet en forme de cône  duquel on aurait envie de décoller vers le ciel (Photo ci dessus à D) avant d' entamer un immense arc de cercle vers le sud autour des sommets magestueux qui nous entourent  sous une lumière d'une beauté irréelle. Nous marchons  l'un derrière l'autre en silence dans l' immensité blanche, conscients du privilège incroyable  de vivre de tels moments. Comme des chemineaux de la montagne qui ont enfin trouvé ce qu'ils étaient venus chercher  dans cette GTA, nous traçons notre route sans savoir exactement où elle va nous mener.

Nous nous comprenons sans nous parler,  incrédules  de tant de  plénitude et d'équilibre dans ce paysage miraculeusement paisible après les tempêtes des jours précédents.   Les marques  des  batons  dans la neige le long du sillon des skis laissent des signes cabalistiques éphémères indéchiffrables pour le commun des mortels mais qui portent surement  en eux quelques  messages mystérieux à destinations des chemineaux de la montagne.  Les crêtes dansent autour de nous en un ballet fantastique animé par le soleil  qui tourne et le vent qui irise la neige.  L'impression de légèreté  dans  l'atmosphère est telle que  le poids des sacs sur nos épaules  semble soudain s'évaporer; illusion de l'âme sur le corps et le réel !  Victoire de la légèreté sur la pesanteur!  Magie de la liberté  et de la beauté dans ces moments d'une intensité rare,  résultante de 10 années de GTA et de 50 ans d'aventures en montagne ensemble.   Les "horizons  gagnées" semblent   à portée de mains  pour les  "conquérants de l'inutile" que nous sommes  dans ces instants hors du temps ! 

Soudain, sans réfléchir , l'envie nous prend  de laisser exploser ce trop plein d'émotion.  L'un après l'autre, sans comprendre ce que nous faisons,  nous nous mettons  à crier du plus fort que nous le pouvons dans l'immensité vide du massif des Zillertaler Alpen  : "G ....T .....A,  G ...T...A ! Vive la GTA !". Nos  hurlements se perdent dans le silence des sommets. Ils  rebondissent sur la voute du ciel et sur les faces des sommets des Alpes de Ziller  avant de revenir en échos dans nos têtes tels des boomerangs,  ferments  pour les souvenirs de tant d'années  partagées à tutoyer les sommets. 

Traversée merveilleuse !Ffgta10 81

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Thierry trace sa route dans la neige immaculée en se laissant bercer par le rythme de chacun de ses  pas, de chaque  baton qui effleure la neige pour mieux se laisser imprégner de cette montagne magique qui  ravive tant de souvenirs heureux ou difficiles. Il s'arrête pour regarder le jeu des nuages sur les crêtes la haut  puis l'instant d'après pour tomber en admiration devant un merveilleux tableau  naturel  à ses pieds  fait de rocher, de vent et de glace qu'il effleure en marchant (Photo ci dessous à G).  Il sourit et se rappelle  de cette année  2016 ou immobilisé au bord de la vie il n'avait pu participer à notre traversée, il se souvient de sa renaissance  l'année suivante sur les glaciers des sources de l'Isère. Il se rappelle de quelques éclairs de sa vie d'alpiniste, du moment suspendu  de son arrivée  au Mont Blanc en  débouchant seul depuis  l'extraordinaire arête de Peuterey dont il avait tant rêvé,  du sourire éternel  du funambule François sur le granit de  la pointe Lachenal quelques années auparavant,  de la force de notre cordée indéfectible depuis tant d'années gravissant tant d'arêtes et de sommets.  

Jean Luc  lui est obnubilé  par l'illusion de capturer ces instants éphémères, de retenir un brin de ce bonheur  en diamant avec son oeil avisé de photographe comme si l'idée d'enfermer ce bonheur dans une boite  pouvait le rendre encore plus fort et peut être plus pérène. Son regard est aimanté  par la lumière  rasante qui joue avec les faces  et avec les arêtes.  Il a gravi dix fois tous les sommets du monde avec ses mains ou avec ses yeux,  avec ses livres, ceux de Rébuffat à Terray en passant par Messner ou Bonatti. Il les connait mieux que personne, il sent les itinéraires, il les voit,  il les dessine. Souvent il les gravit. Parfois il trébuche.  L'épreuve le rend plus fort. Il vit la haute montagne depuis tellement d'années, habité par ses milliers d'ascensions, de projets  et de renoncements.   En cet instant de grâce alpine, il se souvient  avec un sourire mêlée d' un brin de nostalgie de la naissance  de l'aventure de la GTA sur le glacier des Grands Couloirs à  la Grande Casse  il y a déjà 12 ans ! Ses paupières seraient  humides si  elles ne  cristallisaient pas déjà  sous les assauts glacés du vent du nord.  

J6 134 1 3J6 132 1 2Jeu de vent et de lumière

 

 

 

 

 

Après cette chevauchée merveilleuse à travers le cirque de Furtschagl propice à l'évasion des esprits et à la renaissance des souvenirs,  nous parvenons à la belle crête de Neveser Sattle sous le  sommet du Breitnock.  Pour la première fois depuis le départ de Nice il y a 10 ans,  nous apercevons vers l'Est au loin , derrière les derniers pics des  Zillertaler Alpen, les premiers sommets du massif  des Hohen Tauern, point d'arrivée de notre GTA..... Le temps de  quelques photos vaguement publicitaires pour les batons de ski Leiki  que Thierry tient absolument  à réaliser  pour une raison  qu'il conservera secrète (!),  nous nous engageons dans une descente raide droit dans  la face Nord du Breitnock  (Photo ci dessous à D) avant de remonter le long d'une chute de séracs vers  la petite langue glacière suspendue qui  nous mène jusqu'au  Schlegeissharte.  

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Il est des jours en montagne au cours desquels  tout s'enchaine mal, où les décisions qu'on prend sont  presque,systématiquement  douloureuses ou mauvaises, où on a l'impression de prendre des risques à chaque instant,  où les crevasses paraissent plus dangereuses, les point d'assurage moins solide, les pentes plus instables, la neige plus mauvaise, où  la chance semble tourner du mauvais coté  sans comprendre vraiment pourquoi . C'était le cas de la journée d'hier lors de notre tentative au Grand Möseler pour tenter d'atteindre le cirque glacière de Berliner Hütte.   

Au contraire, il est des journées en montagne où  tout parait sourire , où  les paroies se grimpent sans effort, où les itinéraires délicats passent sans heurts, où les paris  osés deviennent judicieux,  où les décisions sont faciles , bref des jours ou  tout semble couler de source . C'est le cas d'aujourd'hui:  A l'instar de notre chevauchée fantastique du matin  à travers le cirque de Furtschagl , la montée vers Schlegeeisssharte est belle, efficace,  et rapide. L'itinéraire dessiné dans le stress et le froid du refuge s'avère juste et esthétique, sans difficulté insurmontable.   Le passage du col  lui même (Photo ci dessous à G)  est finalement  plus  facile que nous le pensions malgré la glace bien présente  au sommet. Pas même besoin de tirer des longueurs pour franchir le col ni même de poser un rappel pour redescendre  vers le glacier sur le versant sud ! 

Après avoir franchi le col, nous changeons complètement  d'ambiance et de paysage. Nous nous trouvons  subitement à l'abris du vent du nord  dans une atmosphère  réchauffée par le soleil printanier. Le contraste est saisissant entre  les séracs des austères  faces nord  que nous avons quittés et les pentes  douces  en neige transformée  par un soleil presque trop chaud que nous trouvons de l'autre coté.  ! La descente  s'engage dans  un paysage à couper le souffle (photo ci dessous au milieu) qui s'ouvre à perte de vue vers le sud et vers l'est des Alpes. Nous dessinons  de grandes  sinusoides  qui se croisent à l'infini  dans les immenses champs de neige de la face sud du Breitnock.  Après les premières grande pentes, l'itinéraire pour  rejoindre  le lac du barrage de Neveser See  en contrebas (Photo ci dessous à D) devient  un peu compliqué et nous demande pas mal d'attention. Les dernières pentes raides avant le barrage, en neige complètement transformée par le soleil  sont même assez dangereuses et difficiles.    

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Arrivés au lac de barrage à 2000m d'altitude après cette longue et belle descente, nous longeons le lac au trois quart vide sur sa rive gauche et rejoignons  la  jolie route enneigée qui redescend  vers la  vallée de Lappach en serpentant malicieusement à travers les barres rocheuses. Nous déchaussons vers 1700m avant de terminer à pied sur quelques kilomètres vers le village de Lappach. Nous avons  basculé en Italie.  Un peu comme à  Pfitschtal ou nous avions séjourné 3 jours plus tôt, la vallée de Lappach est  elle aussi  préservée  de toute installation touristique, ce qui lui donne une ambiance rurale et apaisée (Photo ci dessous au milieu) .   Parvenus à Lappach, nous attrapons un premier bus qui nous amène  dans la station de ski de St Johan am Ahrntal puis un deuxième vers le fond de la vallée dans le hameau de Prettau (Kasern) où nous avons prévu de passer la nuit  (Photo ci dessous à D) .  

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L'auberge où nous dormons ce soir au fond le la vallée de l'Ahrntal est  typique du Tyrol autrichien ou italien avec ses boiseries, son confort  sobre et ses décorations à nul autre pareil. Nous séjournons dans l'auberge avec  4 ou 5 groupes, tous des randonneurs à ski venus pour plusieurs  jours avec leurs guides,  principalement allemands et  autrichiens. Prettau am Ahrntal est un lieu renommé  pour le ski de randonnée avec beaucoup de très belles courses à faire à la journée, simples ballades de moyennes montagnes ou sommets plus ambitieux  de la chaine des Alpes de Ziller.  Nous faisons  un peu figure d'OVNI  avec notre projet de traversée dénué de confort, avec nos énormes sacs de 20kg, nos vêtements salis par 7 jours de traversée  et notre itinéraire ambitieux. Nous sympatisons avec le guide italien d'un des groupes parlant bien français et échangeons avec lui sur notre périple, sur nos choix, sur la suite de notre itinéraire pour les  jours à venir. Il est envieux de l'expérience que sommes en train de  vivre, du caractère exceptionnel de  notre aventure, tellement différente finalement de ce  qu'il pratique avec ses clients même si le sport a le même nom.  Il nous met en garde sur  la forte exposition de l'itinéraire de la journée du lendemain, ce que nous n'avions pas forcément perçu sur les cartes. En échangeant avec lui, nous mesurons  un peu plus encore la valeur singulière de notre aventure. 

 

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Les couleurs  pastelles du ciel sont  particulièrement belles lorsque nous quittons  le hameau de Prettau au petit matin de J7.   Nous sommes presque surpris  d'être entourés d'autre skieurs qui se préparent avec nous au moment du départ, impressionnés par la qualité de leur équipement de montagne  et de la légèreté de leurs sacs ! Nous échangeons un peu  avec eux : ils prévoient tous des sorties à la demi journée  afin d' être de retour à l'auberge  vers midi avant l'arrivée du mauvais temps. La météo du jour  prévoit en effet  une  dégradation des conditions dès le tout début  l'après midi avec de  grosses chutes de neige.  A peine partis, nous regrettons déjà  ne pas avoir démarré plus tôt,  ce que nous aurions évidemment fait si nous ne nous étions pas laissés tenter par les brödchen du  "frühstuck"   de notre auberge qui n'était servi qu'à partir de 6H45 ! Nous le payerons  dans l'après midi en cherchant désespérément  le refuge de Warndorfer hütte dans la tempête. 

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Nous commençons  par un long faux plat  d'une bonne dizaine de kilomètres sur la piste de ski de fond remontant  la vallée  de Ahrn jusqu'à sa source (Photos ci dessus à G et au milieu). Parvenus au bout de la piste (Photo ci dessus à D) ,  nous nous trouvons  au pied d'un itinéraire  peu évident, à savoir  un premier verrou à franchir dans une gorge  délicate puis une pente  raide et complexe  menant  jusqu' à la crête de Binnlücke à 2900 mètres d'altitude .  Nous décidons  d'effectuer un grand  un arc de cercle vers le sud en nous engageant sur le glacier qui descend sous les DreiHerrnspitze, une des plus belles  courses de ski alpinisme de la vallée.   Nous aurions aimé  faire  un détour par ce sommet en Aller-Retour  mais les prévisions météo du jour ne nous l'autorisent pas vraiment.  Nous devons absolument avoir quitté le piège des crêtes de Binnlücke avant l'arrivée du mauvais temps !  Le ciel commence à se couvrir dès 10H30 alors que  nous franchissons  à peine la lèvre de la moraine du glacier (Photo ci dessous au milieu) . Il  nous faut encore presque 2 heures pour atteindre la croix de Binnlücke.  Au moment où nous arrivons au sommet, le ciel est totalement baché et les premiers flocons commencent à tomber. Les prévisions météo avaient vu juste.   Nous aurions aimé être nettement plus rapide dans cette  ascension  mais en réalité, force est de constater que nous peinons  avec nos sacs lourds à tenir un rythme de 400m de D+ par heure  malgré les jours d'entrainement.  

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Après un bref déjeuner dans un trou de neige à l'abris du vent,  nous partons  dans la descente . La météo a subitement basculé,  la neige tombe et nous sommes peu à peu pris par le brouillard. Heureusement que nous avions  eu le temps  de prendre quelques repères pour le départ dans le couloir rectiligne qui plonge depuis le col vers le fond de la vallée de Innerkeesalm. Le manteau  neigeux semble suffisamment stable  pour nous y engager !   En cas de conditions instables, ce couloir doit se transformer en un gigantesque toboggan de 800 mètres  avec des coulées  qui doivent balayer toute la pente jusqu'en bas.  Cette idée nous fait  froid dans le dos.  La pente  moyenne du couloir  est  très soutenue  (bon 35° sur  près de 800 mètres !)  (Photo ci dessous à G et au milieu)  avec des ressauts plus pentus .... sans visibilité ni repère. Le couloir semble ne pas finir ! Celui d'entre nous qui skie devant , avec pour seule perspective  un mur blanc cotoneux qui se confond avec la neige  essaye de coller aux affleurements de rochers du bords du couloir pour capter quelques repères visuels qui émergent du brouillard. Il fait office de point de repère  pour celui qui skie derrière qui peut ainsi enchainer les virages un peu plus facilement  avec une meilleure idée de la pente et du relief ! Nous sommes obligés de nous elayer fréquemment tant la tension est forte. Chaque virage est un exercice  d'équilibrisme qui nécessite  une attention de tous les instant pour ne pas chuter.   Le poid des sacs  ajoute à la difficulté et à l'effort à fournir. Parvenu enfin en bas du grand couloir, nous longeons une  moraine noire mystérieuse et impressionnante (Photo ci dessous à D) avant de  remettre nos peaux pour basculer sur  l'autre versant dans un autre vallon vers le pied des pentes qui doivent nous mener à Warndorfer hütte. 

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Après avoir remis les peaux, nous commencons par traverser une zone de neige humidifiée en profondeur ou nous enfoncons de 50cm  à chaque pas.  La visibilité baisse si c'est encore possible et la neige se met à tomber de plus en plus fort. La traversée du lit d'un torrent sans aucune visibilité  nous fait perdre du temps et nous procure quelques frayeurs. Nous attaquons la montée vers Warndorfer hütte à 15H en pleine tempête.  L'accumulation de neige poudeuse humide tombée au cours des dernières heures dépasse probablement 30 cm.  La pente vers le refuge semble  excessivement raide. Nous ne comprenons pas très bien la physonomie du relief,  difficile à lire avec des passages infranchissable et des affleurements de rocher.  Nous navigons une fois de plus à l'aveugle dans une pente assez impressionante.   Nous restons loin l'un de l'autre dans cette montée infernale pour diviser les risques. Notre rythme est désespérément lent et  chaque pas représente  un effort démesuré pour extraire nos skis de la neige en trainant  d'énormes sabots de neige qui collent sous nos peaux de phoque (on appelle cela "botter" en jargon montagnard) .  Nous mettons près de 2 heures pour gravir  les 300 mètres de dénivellée qui nous séparent du refuge.  Nous ressentons un véritable soulagement lorsque nous voyons  enfin  la cabane émerger  comme par miracle du brouillard , tels des naufragés apercevant l'entrée du port dans la tempête  (Photo ci dessous à D) 

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Parvenus au refuge, nous ne sommes pas encore tout à fait sortie d'affaire. Nous devons encore dégager l'entrée qui est encombrée par d'énormes quantités de neige!  Lorsque nous pouvons enfin entrer, nous avons le plaisir de decouvrir un joli petit refuge confortable, propre et bien entretenu :  4 couchettes  douillettes, des couvertures en bon état, un joli petit poêle, du bois presque sec, une table et des chaises.  Une sorte de paradis après l'enfer de l'ascension vers le refuge. Il n'y a manifestement pas eu beaucoup de visiteurs dans cette cabane  depuis le début de l'hiver ! 

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Comme chaque jour lors de nos arrivées au refuge,  nous répétons  les mêmes routines d'installation  avec méthode : soigneusement nettoyer, vérifier , sécher et ranger  nos skis, nos  peaux de phoques et notre matériel,  rassembler le bois et prendre le temps d'allumer  le poele avec patience  brindille par brindille pour  commencer à réchauffer la pièce,  aller chercher de la neige pour la fonte, vider nos sacs et mettre nos vêtements de rechange,  préparer les affaires pour la nuit  .... Rapidement, nous allumons des petites  bougies , points de lumière dérisoires mais   précieux dans l'austérité  et l'obscurité du refuge,  puis lançons le réchaud afin  de préparer aussi vite que possible un premier bol de soupe  ou de thé  pour nos corps  déshydratés par l'effort.  Le  dîner est ensuite un moment essentiel  au soir de  ces journées éprouvantes . Nous  mettons beaucoup d''application à sa préparation, un peu comme si nous cuisinions des plats sophistiqués de grande cuisine  alors que  notre menu reste invariablement simple et frugal  : soupe, pâtes ou riz au poivre  avec un peu de fromage et une compote  en guise de dessert.  Avec l'arrivée de la nuit, le ciel qui s'est un peu éclairci nous offre une vue dégagée sur un  beau levé de lune entre les nuages au dessus du massif des Dreihernspitze. Nous distinguons au loin  dans la pénombre  vers l'ouest, la crête  que nous avons traversée  tout à l'heure  et les pentes impressionnantes que nous avons descendues.  Compte tenu des précipitations de  l'après midi,  il serait désormais totalement inenvisageable de traverser et de nous engager dans la descente  effectuée tout à l'heure dans le brouillard. Il faut parfois de la chance en montagne pour passer !  Nous nous sentons  bien dans cette minuscule cabane perdue au coeur du massif des Hohen Tauern occidentales. 

 

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Après le diner,  à la lueur de nos maigres bougies, dans la douceur de ce merveilleux petit refuge  isolé qui symbolise tellement bien la montagne que nous aimons pratiquer, nous partageons  avec délice la dernière gorgée d'Armagnac de la  fiole que nous avions emporté depuis la  France.  Nous  sommes subitement pris d'un élan de nostalgie pressentant  déjà   le parfum de la fin de l'aventure. Nous parlons de tout, de rien, de nos vies, de ces années de traversée, de nos souvenirs alpins, de la difficulté jour après jour de ce raid impitoyable, de nos ascensions ensemble,  de nos enfants, de nos projets  d'alpinistes, de toutes ces choses immenses et minuscules qui nous lient l'un à l'autre et qui nous attachent à la montagne.   Nous n'avons pas encore tout à fait décidé de la suite et de la fin de cette GTA 10 .  Nous venons de  pénétrer  dans le massif des Hohen tauern, ultime massif de cette  traversée des Alpes. Les refuges à venir  au pieds des 2 plus hauts sommets  d'Autriche seront probablement beaucoup plus fréquentés. Nous aimerions terminer la GTA en apothéose sur un des  2 grands sommets du massif, idéalement par une journée de grand  beau temps.  Nous aviserons donc en fonction de la météo dès que nous aurons accès à des prévisions !  La soirée se prolonge à coté du poêle  bercés par le crépitement des flammes et la chaleur du feu avant de partir nous coucher. Nous nous relayons tout au long de la nuit pour alimenter le poêle  en bois et faire ainsi durer un peu plus longtemps la douceur de la nostalgie.  GTA quand tu nous tiens ! 

 

J8  Warndorfer hütte - Kürsinger Hütte     D+ 1200 D- 1000

Le refuge est encore tiède lorsque nous nous réveillons tardivement au matin de J8,  emmitoufflés dans  la douceur de nos discussions et de notre nuit. Nos affaires  restées devant le poele allumé,  sont parfaitement sèches  pour une fois à defaut d'être propres.  Nous espérions un ciel clément  pour la journée à venir  mais  ce n'est pas le cas, la neige s'est remise à tomber  et la visibilité  est très réduite en ce début de journée.  L'éclaircie du levé de lune d'hier soir, porteuse d'espoir,  a fait long feu.  Il a probablement neigé toute la nuit, ce qui nous inquiète grandement en pensant à notre itinéraire du jour .  30 ou 40 centimètres de neige fraiche  supplémentaires ont recouvert l'ensemble du massif . Toutes les pentes qui s'élèvent devant nous vont être fragiles et piégeuses. Le risque d'avalanche va clairement être maximal toute la journée dans toutes les orientations ....  Le projet d'ascension que nous avions ébauché pour la journée en plus de la  "simple" traversée vers  le refuge est d'ors et déjà abandonné. Les conditions sont trop mauvaises.  Rejoindre simplement le refuge  de Kursinger nous semble  désormais déjà un objectif très ambitieux ! 

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Nous avons du mal à quitter le refuge, dépités par le mauvais temps dehors et  objectivement inquiets des conditions de neige.  Thierry se lance dans la première pente pour redescendre du promontoire  sur lequel est installé le refuge,  à l'aveugle dans  un couloir  chargé en neige. Parvenu sans dommage dans le petit vallon au pied du refuge, nous partons  plein Est dans les  pentes raides vers la Gamm Spitzl (photos ci dessus à D) dans une neige affreuse à la fois poudreuse en surface et fondue en dessous .  Chaque pas est  une épreuve et une inquiétude, comme la veille pour monter au refuge. Nous  enfonçons parfois jusqu'aux hanches  dans les creux de la pente !  C'est très impressionnant. Nous n'avons que 700 mètres à gravir pour rejoindre  la crête mais cette ascension nous demande des efforts considérables.

 

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Parvenus sur la crête, nous pensions trouver un passage facile pour traverser vers  le glacier du Klimmrertörl et redescendre de l'autre côté, mais il n'en est rien.  Le versant Est  de la Gammspitze est rocheux et raide sans passage évident. Nous longeons la crête mi rocheuse mi neigeuse  à la recherche d'une ouverture qui pourrait nous éviter de poser un rappel hasardeux (Photos ci dessus à G) . Nous franchissons quelques passages  en "ski-escalade" pas forcément très orthodoxes (Photo ci dessus au milieu) et  poursuivons la traversée jusqu' à  une petite dépression  qui s'ouvre sur un étroit couloir très raide  plongeant vers  le plateau du glacier  (Photo ci dessus à D). Après avoir évalué la meilleure stratégie de descente, Jean-Luc rentre            dans le couloir  en faisant  partir  pas à pas les plaques sous ses skis avant de descendre dans la trace des coulées déclanchées  jusqu'à atteindre  un point suffisamment proche du bas du couloir pour se laisser purement et simplement glisser dans la coulée de neige fraiche .  Nous parvenons ainsi sur le glacier où nous pouvons souffler un instant. 

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L''épaisseur de neige est telle  sur le glacier de Kimmertörtl que nous peinons à glisser malgré la pente à la recherche du meilleur passage vers l'Obersulzbach (Photos ci dessus à D) . Quelques brèves éclaircies nous permettent d'apercevoir le fond de la  profonde vallée d'Obersulzbachtal qui file au nord  vers Neukirchen et Mittersill et au sud vers le sommet du Grossvenediger à 3650m .  Nous devons veiller à ne pas perdre trop d'altitude pour éviter de nous trouver dans des pentes trop exposées .  Il nous faut  contourner la haute vallée de l'Obersullzbachtal par un itinéraire que nous pensions simple sur la carte mais  qui est rendu beaucoup plus complexe par le  manque de visibilité  et les conditions de neige. Nous espérions trouver  quelques traces de skis, même anciennes  pour nous aider à nous orienter dans ce relief complexe  sans visibilité mais il n'en est  rien.  Le goulet d'accès vers le glacier d'Obersulzbach est d'abord difficile à trouver puis, une fois engagé dedans, exige beaucoup d'attention .  La  traversée qui suit à flanc vers le GrosserGeiger kees dans une neige collante qui botte à chaque pas nous oblige à remonter puis à  redescendre aplusieurs fois vant de pouvoir    basculer vers le lac de Obersultz.  La neige est tellement collante qu'on ne remet même pas les peaux de phoque dans les petites remontées !  Nous nous sentons minuscules au pied de ces géants qui émergent tels des fantômes par intermittance des nuages qui nous entourent. On distingue au loin de l'autre côté de la vallée, la silhouette noire de cabane de Kürsinger Hütte que nous devons rejoindre.  Les distances sont accentuées par la brume. 

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Parvenus enfin au niveau du lac de Obersulzsee à 2200 mètres,  nous retrouvons avec un certain soulagement la trace des skieurs qui montent vers le refuge  depuis le  fond de la vallée de Obersulzbachtal, ce qui est la voie normale d'accès au refuge en hiver .  Les difficultés de la journée sont désormais derrière nous.  Il nous reste à gravir les 400 mètres de dénivellée qui nous séparent  de Kürsinger Hütte.  Nous pensions passer une journée assez tranquille dans cette traversée entre Warndorfer hütte et Kürsinger hütte.   Aujourd'hui, il n'en a rien été. La tension a été constante à cause des conditions,  de la raideur des pentes, du manque de visibilité et de la complexité de l'itinéraire sans  trace pour nous guider.  Kürsinger  Hütte est un assez grand refuge  (70 places) très  confortable  avec des douches et même un séchoir pour les chaussures et les vêtements mais  qui a su préserver un peu du charme des cabanes de montagnes à taille humaine.  On est loin des véritables hotels d'altitude que nous avions rencontrés dans la Silvretta  qui nous avaient  tant déplues. Nous serons une bonne trentaine dans le refuge ce soir ! C'est déjà beaucoup ! On devient presque un peu misanthrope lorsqu'on pratique la montagne comme nous le faisons . Attablés dans le refuge autour d'un verre, nous apprécions notre demi de bière fraîche  mais regrettons l'intimité et la solitude de nos abris sans conforts des jours précédents ! Paradoxe des alpinistes ! 

Avant d'aller dormir, nous échangeons  tous les 2 sur la suite et la fin de la GTA10. Après  avoir scruté la météo des jours à venir et réfléchi sur les différentes options d'itinéraire,  nous prenons  la décision d'arrêter la GTA10  à la fin de l'étape du lendemain  après l'ascension  du sommet du Grossvenediger. Il va faire grand beau demain avant une dégradation forte pour les jours à venir.  Inutile d'aller tenter le diable !  Cette ascension nous semble être un magnifique point d'orgue pour notre traversée.  C'était  une option prévue  depuis le départ.   L'idée  d'arrêter la traversée dès le lendemain nous  remue les trippes avant d'aller dormir dans la jolie petite  chambre  que le gardien  nous a attribuée pour cette dernière nuit . 

 

J9   Kürsinger Hütte - Matreier Tauern Haus   D+ 1200  D- 2500

Au matin de J9, nous avons un peu de  mal  à réaliser que nous partons  pour la dernière journée de la dernière étape de notre Grande Traversée des Alpes débutée il y a 10 ans !

Les conditions sont idéales pour nous préparer à cette dernière ascension, un peu comme si la chorégraphie de la scène finale de la GTA se mettait en place pour l'apothéose de notre traversée. La lumière du matin filtrée par les  nuages allume  une à une les crêtes autour de nous. Le ciel se dégage progressivement pour laisser apparaître un horizon bleu de plus en plus profond . Les sommets des Hohen tauern  alentours, drappés dans les énormes quantités de neige tombées les  jours derniers sont peintes d'un blanc presque irréel.  Le sommet élancé  du Grossvendiger , objectif de la journée, apparait en contreplongée derrière le soleil, majestueux, immense (Photo ci dessus au milieu). La pointe aiguisée de son  sommet sera la mine du crayon qui mettra le point final à l'histoire de  notre traversée.  Quelle belle ascension pour terminer notre périple ! La journée promet d'être grandiose. 

 

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Nous sommes une petite vingtaine à partir  du refuge. Nous n'avons plus l'habitude de partager notre route avec d'autres skieurs ! Plutôt que de  descendre d'abord sur la moraine avant de remonter ensuite sur le glacier  du Venediger, nous choisissons de prendre une route moins exposée et de rester à flanc  sans perdre trop d'altitude et ainsi rejoindre directement le col du Venedigger. L'atmosphère est d'une limpidité extraordinaire. Elle nous offre des perspectives spectaculaires .  On distingue derrière nous une partie de  l'itinéraire que nous avons parcouru péniblement la veille  dans le brouillard et la neige pour contourner la haute vallée et rejoindre Kürsinger Hütte. Cela ne semble pas évident vu d'ici ! 

 

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La longue montée vers le Klein Venedigger  (Photo ci dessus à G et au milieu) est facile  dans une neige légère sur un glacier en pente douce régulière parfaitement recouvert de neige.  Nous suivons la trace des skieurs partis plus tôt  ce matin. Suivre une trace ne nous était pas arrivé  depuis le premier jour du raid  il y a 9 jours !  Nous avons  un peu l'impression de voler  tant l'ascension des 1200m vers le sommet est rapide !  Cela nous permet de profiter pleinement  des paysages incroyables  qui se découvrent  progressivement autour de nous.  La  pyramide du sommet du Grosser Geiger  que nous avions contourné la veille  dans le brouillard  attire tous nos regard tant elle est  belle  avec ses 3 arêtes symétriques  (Photo ci dessous au milieu). Nos sacs pourtant, toujours aussi lourds, semblent ne plus peser sur nos épaules. Vu d'ici,  l'arc alpin paraît gigantesque ! 

 

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Nous prenons pied sur  sur l'arête sommitale  menant en pente douce vers le  sommet  du Venediger  (Photos ci dessus à G et à D) . Après avoir déjoué quelques plaques de glace piégeuses, avoir franchi l'arête  un peu aiguisée d'une antécime,  nous parvenons à la croix métallique  marquant le sommet sous  un chapeau de glace à 3690 mètres d'altitude (Photos ci dessous) .   Le paysage s'étend  à perte de vue, comme pour nous confirmer encore  s'il en était besoin de  l'immensité de ces Alpes que nous avons traversées.   Vers l'ouest on distingue  les derniers  massifs visités :  les Alpes de Ziller, les sommets du Stubai,  plus loin les pics de l'Öztal  et encore plus loin dans la brume, les crêtes de la Silvretta, les géants de la Bernina  et les miriades de massifs suisses, Italiens et français qui constituent  le coeur de l'arc alpin. Vers le sud  on aperçoit  les chateaux forts  des Dolomites,  leurs soeurs des Alpes juliennes et du Triclav en Slovenie. Vers l'Est enfin, tout près de nous,  s'avance le sommet élancé du GrossLockner,  point culminant de l'Autriche. Entre lui et nous, serpentent les dernieres langues des ultimes  glaciers des Alpes orientales disparaisant  progressivement sous les assauts du rechauffement climatique et que nous allons  maintenant descendre pour achever cette traversée au coeur du massif des Hohen Tauern ! 

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Nous prenons  quelques photos  sous la croix du sommet pour marquer ce moment  à l'encre bleue et blanche dans nos âmes d'alpinistes. Nous envoyons une signe amical  à  Nicolas et Antoine, nos chers compagnons de route, qui ne  sont pas présents pour conclure ce projet avec nous. La GTA  est une affaire de cordée, elle aura  été  une aventure à 4 entre  Nice et le sommet du Grossvenediger. Il est difficile de nous  arracher du sommet car nous savons inconsciemment que cet instant  marque  le début de la fin du voyage. Mais il est malgré tout temps de rechausser les skis et d'entamer la  formidable  descente  (plus de 15km et 2200m de descente) qui doit nous mener à Matraier Tauern Haus en glissant sur les derniers glaciers des Alpes orientales.

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Nous rejoignons d'abord  le sommet du Klein Venediger le long d'une arête glacée puis  basculons  dans l'immense pente du  beau glacier de Schlagenkees  qui s'étale  au pied du Rainerhorn (3570m) (photo ci dessus au milieu) . La descente est magnifique dans une neige de rêve (Photo ci dessus à D). Nous frolons la cabane de Neue Prager Hütte, hésitons un instant à nous engager vers le nord sur le glacier du Viltragenkees avant de  nous raviser et de nous  laisser attirer par  d'anciennes  traces  particulièrement tentantes  qui partent plus au sud. Tout semble tellement facile quand la neige est légère, la visibilité est bonne et que le soleil brille!  Nous plongeons dans les pentes raides  du  glacier de Unterer Kees boden avant d'arriver à  Innergschloss (Photo ci dessus à D)  petit hameau déserté au pintemps,  tapi à l'entrée de l'immense vallon qui remonte vers le Venedigger (Photo ci dessous à G).  Depuis le départ du sommet, nous sommes à nouveau tout à fait seuls  sur ces glaciers sauvages.  Tous les autres skieurs sont repartis  vers le Nord ou vers le sud  en direction des refuges ... mais n'ont pas suivi l'ultime chemin de notre traversée vers l'Est des Hohen Tauern. La fin de cette étape  est  donc à l'image de tout ce que nous avons recherché pendant 10 ans de traversée des grandes Alpes  : des chemins de traverse et de solitude. 

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Encore ennivrés par  cette descente hors du commun et par les  parfums déjà nostalgiques  de la fin de cette  GTA10,  nous nous laissons  glisser sur la route enneigée  qui serpente entre les ravins et  les sapins  (Photo ci dessus au milieu)  vers le  fond de la vallée de Matraier. La neige se fait de plus en plus rare au fil de la descente. Nous essayons de glisser le plus longtemps possible, de glisser  autant que nous le pouvons  sur les névés entre les plaques de terre  comme si nous ne voulions à aucun prix admettre la réalité de la fin de  cette traversée. Nous devons finalement nous rendre à l'évidence etreconnaitre notre défaîte,  déchausser  les skis  et mettre ainsi un terme définitif à notre Grande Traversée des Alpes à ski.  

Nous terminons la journée  à pied, sous le regard lointain et respectueux  vers l'Ouest du  sommet du GrossVenediger d'où nous descendons  et vers l'Est des pentes  du Grosslockner illuminées par le soleil du soir. Nous sommes seuls dans un silence de cathédrale sur cette  petite route perdue du massif des Hohen Tauern, au fond d'une austère vallée encaissée  sans habitation, encadrée des  derniers névés tristes du printemps.   Il règne en cet instant une atmosphère  infiniment calme et paisible alors que nous marchons sans un mot vers le terme de notre aventure. Nous avons le sentiment de nous trouver dans une vallée du  bout du monde alors que nous savons être en fait si proches des vallées et des agglomérations  du coeur de l'Europe .  Quel paradoxe ! 

Après quelques kilomètres de marche dans le fond de cette  vallée, nous parvenons au minuscule hameau de Matreier Tauen, point d'arrivée final de notre traversée.  Les vallées qui s'y rejoignent partent au  le sud en direction de Lienz et de la Slovenie, et au nord  à travers cols et tunnels vers Kitzbuhl et Vienne.  la GTA est terminée. Il est temps de nous  atabler autour d'une bière à la terrasse de la mythique Matraeir Tauern Haus pour  laisser reposer nos corps fatigués et décanter  nos émotions  .... Nous devons désormais  organiser notre retour vers Innsbruck  puis vers la France. Un sacré périple  qui nous prendra 2 jours en taxi, en bus, en train, et en voiture en passant par Mitterstill, Kitzbuehl, Innsbrück, Zurich, Lausanne avant de revenir en France.    

La dixième  et dernière étape de la GTA est terminée ! .... Notre projet de Grande Traversée des Alpes est achevé....  

Vive la GTA !

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