Etape 4 Bonneval - Courmayeur
GTA 4 : Bonneval - Courmayeur
Du 16 au 23 mars 2017
On était particulièrement heureux de se retrouver tous les 3 cette année pour le départ de la quatrième étape de notre Grande Traversée des Alpes après les pépins de santé de l'année dernière. Tous les ans, c'est un challenge d'arriver à bloquer cette semaine de traversée, s'arranger avec le boulot, préparer l'itinéraire, scruter la nivologie et la météo, faire les choix de matos, de refuges, de sommets, de passage, s'accorder sur tout et sur rien ... mais cette année le challenge était un peu plus grand ...
J1: Bonneval - Refuge des Evettes - + 800 - Départ vers 16H de Bonneval sur Arc. Nous chaussons à la sortie du village. Longue montée vers l'Ecot sous le soleil du soir puis montée plus raide à travers les barres rocheuses vers le refuge des Evettes. La lumière est douce. Les skis montent tout seuls mais le sac tire un peu ....On a pourtant pesé chaque élément au gramme près avant de partir et cherché à économiser sur tout mais l'ensemble reste bien lourd. Il parait que certains arrivent à partir en raid avec moins de 10kg sur le dos .... Je demande à voir.
Arrivée au refuge des Evettes à la nuit tombante sous un ciel outremer digne des plus beaux rêves. Les gardiens qui devaient n'arriver que le lendemain sont sur place. On ne sait plus si c'est bien ou pas ....On était content de démarrer notre raid par une soirée un peu austère. C'est bon ce sentiment de se sentir en montagne, ce silence, ces ciels infinis, ce froid mordant, ce mystère qui entoure le matériel que l'on prépare.
J2 : Refuge des Evettes - Refuge du Carro - D+1200 - Levé 6H30 - départ 7H30 - Quelques hésitations d'orientation au départ dans cet immense cirque des Evettes malgré le ciel d'azur. La traversée sur le lac gelé donne de bien belles perspectives et mes skis prennent une pose artistique. La montée vers le col du Grand Means est superbe sur fond de l'Albaron et des Ciamarella. La face Nord de la Grande Ciamarella parait bien grise ! C'est une journée longue et facile. C'est bien ainsi, comme pour nous faire rentrer progressivement dans l'esprit du raid, dans la transhumance des âmes et des corps. Tout est lent, tout est long, comme une reconstruction.
On opte pour un passage un peu raide à la descente du col de Trieves .... puis on traverse le glacier des sources de l'Arc. La remontée plein sud vers le col des Patriotes nous parait pénible. La neige est molle et la sortie un peu expo sous la chaleur du soir. On avait l'intention de monter au sommet de la Levana Occidentale au dessus du col des Patriotes... mais au vue du manque de neige sur l'arête et de la fatigue qui se fait sentir, on décide finalement de descendre directement sur le refuge du Carro. La Lévana sera pour une autre fois.
Au refuge du Carro, on croise un groupe de jeunes encadrants du CAF qui répètent les manoeuvres de sauvetage sur glacier, les noeuds , les tractage. Je ne sais pas vraiment ce qu'ils en retiennent . On écoute d'une oreille discrète en sirotant des bières et surtout en refaisant aussi un peu le monde. C'est plus facile de refaire le monde en altitude quand il n'y a a pas de témoins et que les paroles s'envolent dans le ciel pur. .
J3 : Refuge du Carro - Refuge Benevolo - D+ 1300 Levé 6H - départ 7H - Longue journée en perspective vers le refuge de Benevolo en passant par le pas du Bouquetin, les glaciers des sources de l'Isère, le glacier de Galise, la pointe de Galise et la longue descente du vallon de Rhêmes. On s'en pourlèche les babines à l'avance. Incertitude sur les prévisions météo du jour.
Belle montée au dessus du refuge vers le pas du Bouquetin (3350m) avec un couloir un peu raide à la fin. Le temps se dégrade dans la montée vers le pas et c'est dans le brouillard qu'on attaque le couloir sommital. Jean-Luc s'engage dans un itinéraire un peu tordu et prend une sortie délicate. Thierry et Antoine prenne une voie directe plus orthodoxe. On se retrouve en haut du couloir dans le brouillard.
Soudain le froid se fait sentir. On sort vestes, masques, GPS, alti et boussole. Il faut longer l'arête N pour trouver le col d'Ouin (évident par beau temps, moins quand on n'y voit rien) avant de basculer vers le glacier des sources de l'Isère.
La descente se fait aux instruments jusqu'aux lacs à 2850 au pied du col de la vache. Le skieur de devant sert d'azimuth mobile au skieur de derrière. On va à 2 à l'heure. Quand on perd l'un de nous dans le brouillard, on crie pour le retrouver .... normalement ca marche ! L'itinéraire est loin d'être évident par brouillard mais notre travail de préparation sur GPS se révèle assez efficace. Après quelques hésitations et un peu de temps perdu, on se retrouve au pied de la montée vers la pointe de Galise . Le ciel commence à se dégager. La montée est mystérieuse et belle. Le vent souffle fort. On est absolument seul. Les sacs se font sentir. Il est 16H quand on arrive vers le col pour faire un stop déjeuner. Ca fait 9H qu'on est parti. Fichtre, on n'est pas des rapides !
En arrivant sur la crête frontière vers 3300m, on découvre de l'autre côté l'immense vallon de Rhêmes vers l'Italie complètemet dégagé. Les nuages sont restés accrochés côté français et la visibilité est excellente côté italien. Le cadre est de toute beauté : le Grand Paradis, la Tsantsaleina, la Traversière, le Ruitor et devant nous l'immense glacier de Rhêmes. Quand on se retourne, on voit les nuages derrière nous coté français. La descente est longue et belle dans la neige devenue trop molle en approchant du refuge Benevolo. Il est déjà tard quand on pose nos skis sur la facade du refuge. Le temps d'une douche (quel luxe!) on passe à table pour la pasta et la pollenta. Quel plaisir d'être en Italie. On aura même droit au Limoncello.
J4 : Refuge Benevolo - Refuge Bezzi - D+1100m Levé 6H30 - départ 7H30 - On part le matin de Benevolo en direction de Bezzi sans avoir décidé quel sommet on allait faire entre les 2. La Grande Traversière ou la Becca Traversière ? Comme à notre habitude, ça a été l'objet des discussions du soir : arguments, contr arguments, topo, photos, échanges ... mais on n'a pas tranché. On verra bien sur place. On ira finalement à la Becca.
Le coin est splendide et magré un peu de monde au refuge hier soir, on se retrouve seul dès les premiers mètres de notre ascension. L'itinéraire de montée vers le lago di Goletta n'est pas si évident, zigzagant un peu entre les barres.
L'itinéraire vers le Grand parei et la Becca est de toute beauté sur le glacier di Gollettaz où nous sommes absolument seuls. Au fond du glacier, le col de Rheme Calabre et la Traversière avec son arête terminale un peu aérienne qui nous offre de bien beaux moments. Le ciel est magnifique. Du sommet, on distingue bien coté français la face N de la Grande Casse, La Grande Motte, la Sana .....et coté italien, la Sassière, le Ruitor et plus loin le Valais et le Monte Rosa. Ne se sent on pas tous un peu les rois du monde pendant ces petits instants d'éternité de l'arrivée à un sommet, quel qu'il soit ? ....L'envie de déployer ses ailes et de monter un peu plus haut encore .... juste un petit peu plus haut pour attraper un grain de l'éternité insaisissable des cimes!
Picnic sympa au sommet. On échange quelques bouts de fromages et de viande séchée. Chacun va de son picnic comme il l'entend. Le temps est doux. L'endroit est exceptionnel. On est heureux d'être là. Il y a un peu d'émotion de vivre ensemble des moments comme ceux la . Ces glaciers italiens sont un vrai paradis pour le ski de printemps et le glacier du Vaudet à nos pieds en est un digne représentant.
Après notre belle descente, l'arrivée au refuge Bezzi est assez saisissante et on ne comprend pas tout de suite ca situation. Vision d'apocalypse : le refuge est cerné par d'énormes avanches qui l'ont détruit pour partie il y a 6 jours. Des traces de coulées monstrueuses entourent le refuge .... avec des stygmates de briques cassées, de poutres arrachées, et des monceaux de neige entourant le refuge. La force de la nature. ... Bien heureusement, il n'y avait personne au refuge quand les avalanches sont tombées. La douceur de la montagne était devenue soudain enfer ....
J5 : Refuge Bezzi - Refuge du Ruitor - D+ 1400m - Levé 6H départ 7H- Notre projet initial était de monter directement au dessus du refuge vers le col du Lac Noir, mais vu les pentes pas très engageantes, et le faible regel, nous décidons de changer notre plan et de viser le col du Mont par la vallée vers le lac du Beauregard au petit matin sur la neige gelée (ca glisse bien mais que c'est long!) et de s'engager ensuite dans la longue remontée vers le col du Mont à la frontière française. Les discussions vont bon train, sur Macron, sur Hamon .... sur Fillon .... sur la société, sur nous ......avant que la pente ne se redresse et n'ait raison de nos souffles et de nos discussions. On ne conclura donc pas cette fois ....
Deux ou trois vols d'hélicoptère déposent ici ou la quelques skieurs vers la pointe de l'Archeboc. Il paraît que la dépose est autorisée parce qu'on est en Italie. Lorsqu'on croise ces skieurs dans la descente .... Ils ne nous disent pas vraiment bonjour avec leurs belles combis et leur Airbags de freeriders, peut être est ce parce que nos mondes sont différents. La neige porte bien et crisse sous les skis. Le vallon est long mais sa pente régulière le rend presque indolore. Le col est haut, les sacs sont lourds, et le soleil chauffe.
L'arrivée vers la crête frontière ouvre des perspectives nouvelles vers la Sache, le Turia et le Pourri. Plein de bons souvenirs ! Malgré le ciel bleu et le soleil lourd, le vent infatiguable ne nous laisse pas tranquile et nous oblige rapidement à basculer coté francais vers le refuge d'Archeboc dans une bien belle descente. Au loin on voit Bourg Saint Maurice et les sommets du Beaufortin.
Nous passons devant le refuge d'Archeboc fermé et remettons les peaux de phoques pour remonter les derniers 500m de la journée vers la crête de Montseti qui nous permettront d'atteindre le refuge du Ruitor. La montée est orientée Sud Ouest et la pente un peu raide. On déclenche 2 ou 3 coulées de neige humide en passant, ce qui n'est jamais très rassurant et on est bien content lorsque nous débouchons sur la crête. La descente vers le refuge du Ruitor n'est qu'une formalité. Du refuge, on voit bien le vallon de l'Invernet qu'on va remonter demain vers la Testa del Ruitor. La fin d'après midi est douce sous le soleil dans le hameau qui sert d'écrin au refuge du Ruitor ....
J6 : Refuge du Ruitor - La Thuile - D+ 1500m - levé 5H- départ 6H . Longue journée en perspective avec de la dénivellée et beaucoup de distance. Très belle montée dans le vallon de l'Invernet jusqu'au col à 3200. La fin est un peu raide, mais surtout pénible car massacrée par les restes d'avalanches et les traces des skieurs héliportés qui sont descendus tard dans la neige ramollie. En arrivant au col, on met le pied sur le bord du gigantesque glacier du Ruitor, sorte de calotte glacière immense qui couvre le sommet de la montagne vers le Nord.
On est ému d'être seul dans cette immensité glacière à deux pas du sommet de la testa del Ruitor auquel aucun de nous n'est encore monté. Un sommet facile mais emblématique. Nous sommes le 21 mars. Il y a un an, Thierry passait sur le billard. Voila un beau cadeau d'anniversaire. Le sommet est aérien avec sa petite vierge au sommet, tournée vers la suite de notre traversée, le Grand Combin, le Matterhorn, le Monte Rosa et tous les sommets du Valais jusqu'au col du Simplon. Nous y serons l'année prochaine.
La descente sur la glacier du Ruitor est un instant d'éternité. Plus de 2000m de dénivellée entre le sommet du Ruitor et le bas du vallon. Cette immensité glacière s'étend vers le Nord à perte du vue dans des pentes douces et régulières. Il n'y a pas âme qui vive. Nous ne voyons aucune trace sur la partie du glacier que nous avons choisi de descendre. C'est assez impressionnant de skier dans un tel environnement en face du versant italien du Mont Blanc, de l'aiguille des Glaciers, et des Grandes Jorasses. Quand l'un de nous part dans une grande courbe à gauche, l'autre part en tracer une autre encore plus grande vers la droite sur ces immensités pour dessiner des arabesques telles des comètes qui s'écartent et se recroisent.
Après le refuge Deffeyes, la descente devient plus complexe. D'abord des petits vallons un peu raides puis un cheminement difficile. Heureusement on retrouve des traces de montée qui nous aident grandement pour trouver les passerelles et traverser les gorges. La descente de Deffeyes à La Thuile, notamment la partie dans la forêt est assez délicate. La route vers la Thuile que nous rattrapons plus bas est encore enneigée ce qui nous rend le cheminement facile. Le val d'Aoste nous parait très accueillant . Un petit hotel à a La Thuile nous attend pour la nuit. C'est drôle de retrouver la civilisation ! Vivement demain pour retrouver la montagne silencieuse ...
J7 : La Thuile - Courmayeur - D+ 1200m - Levé 7H - Départ 8H. Un guide autrichien sympa rencontré la veille, fabriquant de meubles et de skis en bois à ses heures perdues, a la gentillesse de nous éviter une bonne heure de marche sur la route grace à son petit van. Nous attaquons quand même à pied, skis sur le sac dans le bas du vallon de Youla. Nous chaussons vers 1800m et remontons le long vallon enneigé jusqu'au col de Youla à presque 2700m.
Le temps est changeant, la montée est longue, parfois presque fastidieuse dans la forêt mais le plaisir est grand de sentir nos corps à nouveau s'élever vers les cimes en partant du fond de la vallée; plaisir de sentir derrière nous le paysage s'agrandir et le glacier du Ruitor où nous étions hier s'éloigner vers le sud. Le sentiment de traversée nous enveloppe, impression de passage ou de transhumance, de pont entre un avant et un après tous les jours un peu différents. Une fois encore, nous sommes absolument seuls. L'arrivée au col de Youla tout au fond du vallon est impressionnante car c'est le point de bascule vers le val Veni et l'envers du Mont Blanc. Le paysage est à couper le souffle malgré le temps changeant : Le glacier du Miage, La Noire de Peuterey, l'aiguille des Glaciers, les piliers du Brouillard et du Freney. On a l'impression d'être au coeur de la grande montagne.
Le temps de plier les peaux, d'avaler quelques vivres de courses, d'attraper quelques images, d'une discussion un peu animée sur des sujets futiles ou importants à l'image de notre relation d'amitié, d'un clin d'oeil à l'arête sud de la Noire de Peuterey, et on bascule vers le val Veni puis vers Courmayeur pour l'ultime descente. Le soleil a déjà disparu. L'arrivée sur les pistes de la station est comme toujours assez perturbante dans le bruit des remontées mécaniques qui semblent si incongrues.
Notre GTA 4 se termine dans la grisaille et la douceur au pied du Mont Blanc. Nous avons commencé à Nice il y a 4 ans. L'arrivée sur Courmayeur est assez symbolique car c'est le point où notre traversée va s'infléchir vers l'Est quel que soit notre choix d'itinéraire pour l'année prochaine. Finis ou presque les Alpes françaises, on va rentrer définitivement en Suisse et en Italie avant de rejoindre l'Autriche dans 2 ou 3 ans.
Cette semaine de raid a été grandiose, magique, aérienne, inspirante et finalement trop courte. Dans ces raids itinérants, le rythme est donné pendant les premiers jours; après il convient de le suivre, d'élever son esprit et d'écouter son corps ... On aimerait partir pour beaucoup plus longtemps .....
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