En 2019, nous avions  été forcés d'écourter  la GTA6  à cause de conditions météo difficiles. En 2020 nous avions du annuler  notre étape pour cause de COVID et de confinement forcé.   C'est peu dire que nous étions particulièrement déterminés  et motivés pour  reprendre notre Grande  Traversée  des Alpes en 2021, même  au prix de quelques contorsions et arrangements avec les règles, tests , attestations et autres quarantaines.  Nous avons finalement réussi  à passer entre les gouttes des mesures sanitaires et à partir pour notre GTA7, presque incrédules de pouvoir reprendre notre aventure là ou nous l'avions interrompue il y a 2 ans , non loin des sources du Rhone à quelques enjambées du col du Saint Gothard. 

C'est  donc à trois que nous nous sommes engagés dans la 7ième étape de la GTA  car Antoine avait décidé de ne pas être de l'aventure cette année .... Le point de ralliement  avait été fixé comme à l'accoutumée  chez Jean Luc  à Saint Gervais au pied du Mont Blanc pour nous permettre de  terminer les préparatifs et se mettre doucement dans l'ambiance de notre raid : ajustements des itinéraires, traces GPX, trains, refuges,  bouffe, matériel, finalisation des sacs, répartition.

A la veille du départ, le moral est haut  et l'excitation bien présente malgré les prévisions météo  moyennes et la lourdeur des sacs qui accusent plus de 17Kg chacun à la pesée.  C'est lourd sur les épaules  et c'est encore plus lourd dans la tête juste avant de se mettre en marche! Les étapes nous paraissent tout d'un coup bien ambitieuses .... et nous regrettons presque silencieusement d'avoir prévu autant de dénivellée, autant de nuits dans des cabanes non gardées, autant de sommets, d'avoir à porter autant de gaz, de bouffe , de matériel .... dilemne entre l'inconfort et  l'engagement , entre  l'effort et  la facilité , entre l'autonomie et le poid des sacs. Où est la source  profonde de notre motivation ?  de notre désir  d'accomplissement?  de notre plaisir ?  quelle est notre recherche ? Que voulons nous conquérir ? nous prouver ? A quel prix ? Notre amour de la montagne nous questionne, empreint de ses paradoxes sans réponse.  

Nous parlons de tout cela au petit matin dans la voiture qui nous emmène de Saint Gervais vers Brig  puis dans le Matterhorn-Gothartd bahn vers Realp.   Discussions légères en apparence mais  beaucoup plus profondes  qu'elles  n'en ont l'air pour nous trois qui appartenons depuis près de cinquante ans à la famille si particulière des conquérants de l'inutile ! Merci Monsieur Lionel Terray ...

 

J1 : Gare de Realp - Rotondo Hütte (D+1100; D-0)

J1 5​​​​​J1 7J1 1 2 1

 

 

 

 

 

Le temps est gris quand on arrive à la gare de Realp. Nous sommes seuls à descendre du train dans ce tout petit village désert et sans charme.  On s'engage sur la route du Furkapass  vers l'ouest avec nos skis sur le dos. On sent l'odeur de la neige de printemps. Les chaussures de ski claquent à chaque pas sur le bitume froid jusqu'à ce que la  route vienne s'épuiser  sur une congère de neige faconnée par un chasse neige en bout de course.  C'est le moment de lever les yeux, poser les sacs, mettre nos peaux de phoque et chausser nos skis. La GTA7 peut commencer. 

Notre itinéraire s'élève vers le sud dans un large vallon  qui se confond avec le ciel gris et les nuages au loin.  Quelques flocons invisibles fouettent nos visages et nous rappellent qu'il fait froid.  Les pentes sud dégarnies de neige de la  vallée vers Hospendal et Andermatt  s'éloignent  à mesure que nous pénétrons dans le vallon.  Les pas sont lents autant que les sacs sont lourds. On devine les reflets de vieilles traces mal  recouvertes par la neige fraîche tombée dans la journée. Nous  sommes seuls dans cette immensité blanche et le silence est presque envahissant comme il le serait dans une chambre sourde.  L'atmosphère est étrange, presque triste. Les éclaircies alternent avec le mauvais temps qui arrive par le sud.  La pente se redresse de plus en plus. 

J1 1 5 2Ml 1 10J1 1 3 2

 

 

 

 

 

 

L'arrivée vers le  refuge Rotondo  se fait au bénéfice d'une éclaircie dans le ciel gris (photo de droite). Nous essayons de  mémoriser au loin les pentes complexes que nous devons gravir demain vers le Pizzo Lucendro et le col du Saint Gothard. Très difficile de se rendre compte de l'échelle du relief par un temps pareil.  Il neige à gros flocons et le froid pince quand nous poussons la porte du refuge à 2600m.  Il fait chaud dans la cabane . C'est une bonne surprise car la gardienne avait prévu de redescendre pour les 2 jours à venir car tous les visiteurs avaient annulé  à cause des conditions météo .... sauf nous 3.  Mais elle s'est finalement ravisée. La soirée sera douce et le premier dîner sera copieux. C'est donc une entrée en matière  confortable pour notre GTA7. 

 

J2 : Rotondo Hütte - Vermigel Hütte (D+1100 D-1400)

Réveil vers 6H  après une bonne première nuit en altitude.   Le temps est  franchement mauvais au petit matin. Tout est blanc dehors. Il neige. Trente  bons centimètres se sont accumulés pendant la nuit, la visibilité est presque nulle et la nivologie incertaine.  L'itinéraire prévu aujourd'hui est ambitieux pour un début de raid avec 4 cols à passer, un relief complexe et 1800m de dénivellée positive pour atteindre la cabane de Vermigel. 

Il fait vraiment très froid dehors lorsque nous sortons les skis. Le métal  des fixations colle à la peau; nos traces d'hier ont totalement disparu et dès les premiers mètres, nous comprenons que l'orientation va être compliquée.  Nous devons commencer  par descendre au fond du grand cirque de Rotondo avant de longer des barres rocheuses pour attraper une épaule vers le Pizzo Lucendro. Notre trio se met en ordre de marche : un éclaireur pour  ouvrir la route, un suiveur  pour pointer  l'azimuth à la boussole et le troisième qui ferme la marche en charge de la trace GPS pour s'assurer que nous ne nous écartons pas.  Le premier ne sait jamais trop si il monte ou bien descend, s'il est devant une barre rocheuse , un trou ou une forte pente.  Il tatonne. Il essaye. Il tombe parfois.  Nous mettons plus d'1H à descendre les tout petits 200m qui nous permettent de rejoindre les pentes vers le Pizzo Lucendro.  Cela aurait du nous prendre 10mn !! 

J2 1 1 1J2 3Ml 1J2 1 5 2

 

 

 

 

 

Lorsque nous dévons  mettre  les  peaux pour commencer l'ascension,  il est déjà presque 9H  et notre  belle confiance  du réveil s'est soudain envolée. La couche de neige fraîche est épaisse et instable, on ne voit pas à 20m et nous savons sans se le dire  que l'itinéraire devant nous est délicat, trop long et  trop technique  pour réussir à traverser dans ces conditions. Il ne nous faut  que  peu de temps pour décider  ensemble de bouleverser l'itinéraire de J2 . Nous allons  contourner  tous les cols et  sommets prévus aujourd'hui par des longs vallons versant nord pour espérer atteindre le refuge  ce soir  en passant par le village de  Andermatt. 

Au moment de rechausser, Jean Luc s'aperçoit qu'un de ses ski Dynastar Mythic est gravement endommagé  au niveau de la fixation arrière. Probablement le saut involontaire un peu violent d'une petite barre rocheuse en plein brouillard tout a l'heure dans la descente  ... le ski a fait levier et il s'est cassé.  Les ennuis s'accumulent!  Impossible de continuer ainsi. Il faut descendre, rejoindre  puis suivre la vallée vers l'Hospendal  pour espérer trouver une solution .... Nous nous dépéchons  et optimisons nos efforts en skiant tant qu'on le peut sur la route recouverte de neige 

Ml 1 11Ml 1 2

J2 1 19J2 1 6 1

 

 

 

 

 

 

L'arrivée à Andermatt nous donne  l'impression de pénétrer dans un village fantôme, déserté pour cause de pandémie et aussi ankilosé par le froid.  Pas très fun ! Impossible de trouver un coin pour boire même un café ! Par miracle,  nous trouvons des skis de rando raid disponible pour JL dans le seul magasin de montagne du village ouvert que nous a indiqué l'office du tourisme.  Il faut quelques minutes de discussion pour réveiller le magasin de sa torpeur, il faut une bonne demi-heure pour  réussir à acheter  les skis à un prix raisonnable,  faire réinstaller les LowTech  sur les nouveaux skis sans attendre ... une semaine,  et pour réajuster  les peaux ....  

Ml 1 5J2 1 22 ​​​​​J2 1 3 1

 

 

 

 

 

Nous sommes prêts vers 13H  à repartir pour essayer d'atteindre Vermigel Hütte avant la nuit. Le vallon Unteralp d'apparence débonnaire est plein de surprise. Il nous faut monter rive gauche,  redescendre le long du torrent, contourner d'énormes couloirs d'avalanche,  traverser Rive Droite, éviter des gorges, s'orienter. la méteo ne s'améliore pas du tout. Les rochers apparents semblent disproportionnés dans ce vallon immense sans trace ni repère. Plusieurs fois, nous rebroussons chemin devant l'exposition de la pente ou des traces de coulées toute récentes peu engageantes.  Nous mettrons près de 5H  (!) depuis Andermatt pour parvenir à Vermigel Hütte, située sur un bastion rocheux d'accès  compliqué dans un grand cirque que nous sommes obligé de contourner.  La visibilité est nulle. On zigzague entre les rochers dans des pentes exposées. Même avec  un GPS  et une trace préparée avec précaution, l'orientation est assez difficile! Nous entrons dans le refuge vers 18H après une journée longue et mouvementée.  C'est un vrai soulagement de poser nos sacs dans l'entrée du refuge. 

 J2 1 9 1Ml 1 6Ml 1 3Ml 1 7

 

 

 

 

La cabane de Vermigel, non gardée,  est particulièrement bien ordonnée et confortable. Le bois est parfaitement  coupé et rangé , le refuge est parfaitement propre,  les tabourets sont sur les tables comme dans les maisons propres,  les ustensiles de cuisine sont parfaitement rangés !  Nous sentons que nous sommes en Suisse profonde avec ce que cela représente de séduisant et mais aussi d'étrange tellement chaque chose est à sa place.  Le poele  nous permet de rapidement remonter la température du refuge au dessus de 12°C dans la pièce principale et de faire chauffer autant d'eau que nous le voulons. Un vrai réconfort après notre longue journée dans le blizzard. Au menu ce soir soupe, coquillettes et compote. Un festin ! La meteo s'annonce meilleure à partir de demain ! 

 

J3  Vermigel Hütte - Camona di Maighels (D+ 1300; D-1100)

Levé 6H, départ 7H30. Le temps est encore instable au petit matin mais on distingue les sommets autour du refuge à travers la brume , notamment le magestueux pizzo centrale d'où nous aurions du descendre hier. Nous prenons notre temps pour nous préparer, ranger le refuge, petit déjeuner et attendre les éclaircies annoncées.   Avec de la visibilité, on comprend mieux la complexité du relief autour du refuge. Les pentes ont  été saupoudrées de quelques cm de neige fraiche pendant la nuit mais les bourrelets de nos traces d'hier sont encore perceptibles. 

L'étape d'aujourd'hui est relativement courte en distance et en dénivellée, avec de belles ascensions et pas mal d'options possible en fonction des conditions que nous allons rencontrer et de notre forme. Nous partons plein Est vers Maighels pass et le Piz Alv,  600m au dessus du refuge dans  une belle ambiance de cache cache entre le soleil, les sommets et la brume. Les immensités de neige vierge autour de nous sont particulièrement esthétiques. Nicolas fait la trace dans une traversée délicate pour arriver à un premier col, Thierry le relaie pour parvenir  à un  deuxième qui nous  permet de prendre pied sur le glacier de Maighels.  



J3 1 3 1J3 1 11 1J3 1 7 1

 

 

 

 

 

Les nuages reviennent lorsque nous traversons le glacier  et nous engageons dans la pente  soutenue qui nous permet d'arriver  de l'autre coté d'un éperon sur le glacier de Ravetsh (en bas à gauche). La neige se remet à tomber. Le froid intense est amplifié par le vent incessant .  Difficile de s'habiller correctement dans ces conditions changeantes. Il nous reste  à gravir  400m soutenus de  pente sommitale pour atteindre  la croix du  pic Ravetsh. L'eau dans les gourdes est gelée. On laisse les skis 100m sous la crête  et  terminons l'ascension à pied dans le raide couloir sommital  vers le sommet (en bas à droite).

`La crête très aérienne marque symboliquement la frontière entre le Nord et le Sud, le canton de Uri et le canton des Grisons. La vue depuis sommet s'ouvre dans toutes les directions. A l'ouest et au Sud,  on devine les massifs que nous avons traversés  lors des GTA5 et GTA6, vers l'Est et le Nord , on distingue la suite de notre aventure de la GTA7 et nous projetons vers  les suivantes. Le ciel  est clair  au sommet du Piz Ravetsch et pour la première fois depuis le départ de la GTA7, nous faisons  le lien visuel entre toutes nos années de traversée. Quel plaisir de visualiser cette aventure. Quelle joie profonde  de vivre et partager  cette GTA !

J3 1 12 1J3 1 16 2J3 1 17 1

 

 

 

 

 

 

Il nous faut désormais descendre plein Nord  sur le glacier de Maighels puis dans l'immense vallon qui lui succède  pour arriver 6 ou 7 km plus loin vers notre refuge, la Camona di Maighels. Le ciel bleu enfin retrouvé  après presque 3 jours de brouillard nous donne des ailes pour glisser dans cette vallée ouverte où l'esprit s'envole. Nous dessinons nos premières sinusoides de la traversée avant que la pente ne s'adoucisse et nous oblige à remettre les peaux de phoque. L'arrivée au refuge  nous replonge dans la civilisation. Plusieurs groupes du club alpin suisse arrivés tout juste de la vallée, séjournent au refuge  dans le cadre de stages de formation. Ils nous  rappellent  soudain qu'il y a des règles COVID à respecter aussi dans les refuges. La jauge d'occupation est de 50% et le  port du masque  est thèoriquement obligatoire. 

Ml 1 22J3 1 22 2Ml 1 27

 

 

 

 

 

 

 

J4 : Camona di Maighels - Camona di Cavardiras (D+ 1600 D- 1200)

 Il est tombé 10cm  de neige fraîche au cours de la  nuit comme si une main divine avait voulu préparer notre départ et effacer toute trace sur notre route.  Nous sommes les premiers à quitter le refuge dans le froid du matin pour descendre vers l'Oberalppass et le village de Tschamut. Nous avons l'impression d'être seuls au monde pour cette belle descente jusqu'au fond de la vallée de Disentis Muster (Photo ci dessous au milieu) . Notre arrivée dans cette vallée est forte symboliquement dans la logique de notre Grande Traversée des Alpes car  l'Oberalpass  représente la ligne de partage des eaux entre  le bassin du Rhone et  le bassin du Rhin. La vallée du Rhin s'enfonce  ensuite plein Est vers Chur (Coire) et plus loin l'Engadine et l'Autriche ou nous continuerons  notre traversée les prochaines années.

J4 1 2 1Ml 1 37Ml 1 30 1

 

 

 

 

 

 

Après être arrivé  au pied de l'Oberalpass,  il nous faut  longer la vallée jusqu'à la petite station de Sedrun (1300m)  puis nous engager plein Nord dans le majestueux val Strem  à remonter dans son intégralité  (près de 1900m de D+ ). Nous remettons les peaux puis   entamons  à pas lents notre longue marche dans le vallon qui doit nous mener jusqu'au sommet de l'Oberalpstock. Nous sommes partis tôt ce matin du refuge  la fatigue s'est accumulée au cours des  jours passés, et tout d'un coup malgré la beauté du cadre nos jambes nous paraissent  subitement bien lourdes,   ce vallon  bien austère, le sommet à gravir si éloigné et si haut.  Le soleil cogne dans ce vallon orienté au sud . Les sacs pèsent sur nos épaules et dans nos têtes. Dans  ces moments, il faut surtout ne pas trop réfléchir ni gamberger; juste mettre  un pas devant l'autre, ne pas écouter la petite voix qui doute et  simplement s'accrocher au cher compagnon devant qui semble lui beaucoup moins souffrir ; continuer à avancer , pas après pas, et attendre patiemment le moment, plus tard ou l'esprit et le corps s'accorderont à nouveau dans un sourire.

Vers l'altitude de 2000, nous quittons  le fond du vallon pour  bifurquer dans les pentes raides vers l'Est  au milieu des barres pour atteindre  une brèche puis le sommet de l'Oberalpstock (photo du milieu  D ci dessous).  Nous devons nous employer pour trouver l'itinéraire et venir à bout de ce passage un peu délicat. 

Ml 1 39Ml 1 43J4 1 26 2Ml 1 44

 

 

 

 

 

 

Nous ne sommes pas rapides aujourd'hui. Vers 14H, après une courte pause pour déjeuner en plein soleil  nous prenons l'option  d'éviter le sommet et de passer par une brêche  vers 3000 qui nous fera déboucher directement sur le plateau de l'Oberalp Gletscher. La  pente sommitale  est raide  dans une neige qui se dérobe sous nos skis (ci dessus à D) 

L'arrivée à la brêche est grandiose (ci dessous à G) et ouvre nos  regards vers l'Oberalp Gletscher  totalement vierge  (ci dessus à D). Cette immensité sans une seule trace est impressionnate (video ci dessous).  Dans les premières pentes du glacier, nos traces dessinent de belles arabesques sur le glacier immaculé.   

J4 1 17 1J4 1 18 1

A  l'autre bout du glacier, que nous devons traverser ,  on distigue  la cabane de Cavardiras sur un petit  promontoire ou nous allons dormir ce soir. Au loin vers l'Est, on distingue le majestueux Piz Russein Tödi  où nous serons dans 2 jours.  L'épaisseur de neige fraîche est telle que la traversée du plateau glacière  nous demande pas mal d'effort. Nicolas fait la trace pour terminer notre longue journée (Photo ci dessous à G ​​​​​). Après une courte montée finale, nous parvenons à la petite cabane vers 18H après une  longue, belle  et rude  journée en montagne. Le temps s'est à nouveau couvert. 

J4 1 22 1J4 1 29 1J4 1 30 1

 

 

 

 

 

La fatigue se fait subtement sentir lorque nous poussons la porte du petit refuge. Le refuge est situé dans un lieu totalement magique surplombant à l'Est le val Cavardiras et les sommets du Tödi et à l'Ouest  l'Oberalp Gletscher  que nous avons traversé. Il ne semble  pas avoir reçu de visite depuis plusieurs jours car il fait vraiment froid à l'intérieur.  Seules 2 pièces sont ouvertes en hiver.  Nous cherchons du bois pour allumer le petit poele qui peine à réchauffer la pièce. Il nous faudra pas mal de temps pour dépasser 10°C à l'intérieur. Au 1er étage, le dortoir restera lui largement  en dessous de 0°C. Dehors la température est inférieure à -20°C. Nous mettons tout de suite de l'eau à chauffer sur le réchaud pour nous hydrater largement  avec du thé et de la soupe après cette longue étape exigente  et préparons notre repas à la  lueur des bougies.

Nous sommes au coeur de notre raid, seuls, isolés, emmitoufflés dans la torpeur de la petite cabane  de cavardiras à 2700m  d'altitude, assaillie par le froid et la neige qui s'est remise à tomber. Nous ressentons tous les 3 ce plaisir si particulier aux alpinistes d'être à la fois fourbus de nos efforts et étourdis de Montagne avec un grand M, émerveillés de tant d'espace, de liberté, de beauté et d'émotions intenses accumulées pendant la journée. Il est temps d'aller se reposer et rêver un peu dans un sommeil récupérateur.  Thierry décide de dormir  sur un banc dans la pièce principale pour profiter de la douceur du poele. Nicolas et Jean-Luc préfèrent  eux les matelas mais aussi le froid du dortoir. 

 

J5 : Camona di Cavardiras - Planura Hütte (D+ 1600; D- 1300)

J5 1 3 3J5 1 4 1J5 1 2 1

 

 

 

 

 

Au réveil, il fait toujours très froid mais le petit refuge est déjà baigné de soleil. L'endroit est majestueux dans la lumière rasante du matin. La nuit a été bonne.  Nous petit déjeunons rapidement, chacun avec nos habitudes, remplissons les gourdes d'eau de fonte, rangeons le refuge et préparons nos sacs qui commencent à s'alléger au fil des jours.  Un peu de ménage avant de partir pour ne pas laisser de mauvaise impression des français de passage et casser quelques clichés tenaces.  Nous prenons le temps d'une photo ensemble  devant l'Oberalpstock avant de quitter ce lieu magique et de s'engager dans le vallon de Cavardiras vers l'Est. Toutes les pentes sont vierges autour de nous. Même nos traces d'hier ont été effacées pas le vent et la neige tombée pendant la nuit.  L'environnement ce matin est tout simplement époustouflant au moment de quitter le refuge  et de plonger vers le vallon (Photo  ci dessous)

J5 1 6 2J5 1 8 2J5 1 5 1J5 1 10 2

 

 

 

 

La descente du vallon de Cavardiras au petit matin de J5 est un moment  extraordinaire. Cette séquence restera  pour nous un moment d'anthologie dans la bibliothèque de  nos souvenirs de  skieurs de montagne  : des  paysages époustouflants ,  une solitude absolue,  une neige de rêve, une  lumlière rasante  qui fait scintiller la neige et souligne les reliefs, des pentes totalement vierges ....

Nous faisons bien sûr des photos et  quelques  videos au cours de cette descente extraordianire.  Ces prises d'images donnent lieu a un échange animé entre nous pendant la descente sur l'opportunité ou non de se contraindre pour faire des images  dans de tels moments. A quoi bon ? L'essentiel  n'est il pas de vivre ces instants  dans leur plénitude, de les goûter tout simplement et complètement ? sans s'obliger à faire des photos. Cela  fait il du sens  d'accepter de se contraindre  pour ramener des  images? Pouquoi vouloir fixer artificiellement ces moments qui seront de toute façon travestis par l'image ?  La question posée en filigrane  derrière ce débat est intéressante. C'est celle du rôle dénaturant de l'image en tant que perturbateur de comportement  et d'émotions à la prise de vue et  en tant que biais de souvenirs et de communication  à la restitution. Le débat reste ouvert .....

Vers le bas du vallon, la neige devient plus difficile et nous devons négocier un passage  délicat pour traverser au  nord et rejoindre  sans trop redescendre l'Alp de Cavein, jonction entre le vallon de Cavardiras et le vallon de Cavein ou nous devons nous engager. Nous remettons les peaux, et repartons  pour 1100M de D+  dans ce beau et long vallon jusqu'à la Puorta de Cavein. L'atmosphère est particulièrement paisible en ce milieu de matinée. Les conditions sont  bonnes, la neige en versant sud porte bien et  la montée s'engage facilement. Les nuages gagnent progressivement du terrain. Nous nous relayons pour faire la trace jusqu' à la brèche avant de basculer versant nord dans l'immense cirque glacière du massif de Claridden.

Ml 1 72Ml 1 65 2

Le passage de la  Puorta de Cavein est  un peu délicat et nous sommes obligés de  poser un rappel pour descendre sur le glacier de Hufiifirn sur le versant Nord.  L'ambiance est très aerienne vers le Piz Git avec la brume qui va et vient le long du sommet en s'engouffrant pour emplir le bassin du glacier. Lorsque nous mettons le pied sur le glacier, les quantités de neige accumulées  sont impressionnantes et il nous faut pas mal de précautions pour éviter de faire partir des coulées.

J5 1 13 2J5 1 14 2Ml 1 75J5 1 16 1

 

 

 

 

 

Nous devons remonter d'abord  le glacier  de Hufifirn vers la Fuorca di Cambrialas.  Grâce à quelques trouées dans les nuages nous nous faisons  une idée de la topographie du lieu  et de la belle ambiance de ce cirque glacière immense (Photo ci dessus au milieu à D) .  Le répis est de courte durée et les nuages qui reviennent rapidement nous contraignent  à naviguer au GPS dans le brouillard pour trouver le passage permettant de basculer sur le glacier de Claridden.  

Il  faut d'abord descendre  sur une épaule de neige jusqu'au bas du glacier  puis remonter vers le sud  jusqu'au nid d'aigle de Planura Hütte.  Cette montée  de plus de 400m de D+ nous semble ardue à la fin de cette longue journée. Encore une fois, il nous faut faire la trace dans cette  pente soutenue où les accumulation de neige sont énormes. Il faut rester très attentifs pour éviter les seracs et garder le cap vers le refuge. Nous arrivons à la cabane perchée sur son arête à 3000m dans des conditions hivernales froides et difficiles.

La journée de J5 depuis Cavardiras a été absolument extraordinaire de beauté, de variété et  d'engagement  mais aussi  longue et éprouvante à cause de la nature du terrain, de la tension et des changements de temps. Nous sommes heureux de trouver de la place et un repas à Planura Hütte  où nous n'avions pas réservé. L'ambiance  y est  résolument montagne.  Nous sommes contents de croiser  2 autres cordées qui comme nous partent  demain  pour  le Piz Russein :  l'une par la face Ouest glacière en crampons piolets skis sur le sac,  l'autre par la même voie que nous plus longue et plus skiante qui  contourne le massif par l'ouest pour atteindre le sommet par le sud. Nous ferons la course ensemble demain !

 

J6 : Planura Hütte - Fridolin Hütte (D+ 1900; D- 2700)

Le réveil sonne à 4H30. La vue depuis Planura Hütte au réveil vers le levant  est particulièrement belle. Les couleurs pastels du ciel et de la neige se confondent dans l'horizon.  Le froid est intense. Nous partons pour une très grande journée.  Hier soir, avec la fatigue de l'itinéraire de la veille, nous avions un instant hésité à nous lancer dans  cette course  compte tenu de sa longueur : 3 cols, 1900m de dénivellée, de très longues descentes, des passages un peu techniques ....le tout avec nos gros sacs  sur le dos ! L'envie avait été plus forte, l'effet d'entrainement du groupe aussi.   

Le départ depuis le refuge est somptueux et les doutes de la veille ont complètement disparu. Nous passons  d'abord  un collet pour descendre sur le glacier de Sanfirn, remontons ensuite vers le  Sandpass d'ou la vue  sur  face Nord du Piz Russein Tödi  est impressionnante avant de plonger 1000m plus bas tout au fond du val  Gronda di Russein pour contourner notre objectif par l'ouest. On voit au sud du vallon les premiers pics  commencer à s'allumer avec le soleil au moment où nous plongeons dans le val Gronde di Russein.  Beaucoup d'ambiance en ce début de journée !

J5 1 18 1J5 1 24 3

J5 1 21

J5 1 25

 

 

 

 

 

La longue descente vers le val di Gronda Russein est raide et physique dans une neige difficile. Elle nous cueille à froid et fait mal aux jambes. L'ambiance est austère. Attention à ne pas se blesser. Après les premiers 500m de descente,  la pente devient plus raisonnable et nous filons à grande vitesse vers le fond du vallon  sur la neige gelée. Nous avons hâte d'en découdre avec l'ascension, et de nous élever vers le soleil.  

Après avoir traversé une grosse coulée d'avalanche dans le fond du vallon, on met les peaux  au point 1960  et traçons  directement sur un raide éperon neigeux en direction du  glacier de Gliems 1200 m plus haut. Les couteaux mordent bien dans la neige durcie par le gèle. Il est encore tôt et nous marchons bien. Nous profitons de la belle trace faite par nos 3 compagnons de refuge parti 1/4 d'H avant nous. Ils sont un peu plus rapide. Leurs sacs sont aussi  moins lourds ! Les premiers rayons du soleil nous parviennent lorsque nous arrivons sous la première brèche. L'envie de les toucher du doigt et de sentir leur chaleur nous fait  faire un petit détour avant la brêche. Ils nous caressent délicieusement après les heures d'ombre et de froid depuis notre départ du refuge. 

J5 1 28J5 1 30J5 1 29

 

Cela fait 3H que nous avons quitté   Planura Hütte.  Les vues vers l'ouest et au sud sont  assez grandioses. Petite  pause au soleil  en arrivant à la première brèche avant de basculer  sur le glacier de Gliems  que nous allons désormais remonter jusqu'à la Puorta de Gliems 250m au dessus de nous. Malgré  la dénivellée qui commence à s'accumuler, nous marchons bien.  

Notre trace de montée dessine des Z particulièrement esthétiques  sur le glacier de Gliems le long de l'éperon  qui descent du Piz Ulv dans une ambiance très alpine. Arrivés au pied de la Puorta de Gliems, nous devons mettre  les skis sur le sac et nous équiper  pour gravir le raide couloir terminal vers la brèche. En été, je crois qu'il y a des cables et des échelles pour  passer cet endroit vertigineux   (Photo ci dessous milieu D). Nous sommes seuls dans ce décor extraordinaire !

J5 1 32 1J5 1 34 3Ml 1 88J5 1 35 3

 

 

 

 

 

L'arrivée à la brèche est somptueuse. Les nuages qui vont et viennent  du nord au sud à travers la petit brèche  ajoute une touche de mystère à l'ambiance particulièrement aérienne de ce lieu.  De l'autre coté, nous basculons vers l'immense et majestueux glacier qui descend du Piz Russein. Nous enlevons  les crampons et remettons les skis juste après le col pour rejoindre 200m plus bas  le glacier du Tödi. Il nous reste désormais à  gravir la pente terminale vers le sommet, 600m d'ascension facile (photo ci dessous à G). La trace bien marquée navigue entre les séracs du glacier jusqu'à la crête sommitale qui nous mène facilement jusque sous le sommet que nous gravissons à pied. 

J5 1 37 1Ml 1 91J5 1 43 1Ml 1 92

 

 

 

 

 

Il est à peine midi lorsque nous arrivons au sommet du Piz Russein Tödi, point culminant de notre GTA7. Nous sommes seuls au sommet. Nous repérons  les traces de nos compagnons d'hier soir qui ont débouché  de la face Ouest. La vue depuis le sommet  est très belle malgré la lumière écrasante de midi et s'étend de l'Oberland à la Bernina. On voit tout en bas de la face Nord impressionnante la petite cabane de Planura Hütte dans laquelle  nous avons dormi hier  soir , perchée sur son improbable arête. Quel tour magistral  pour arriver jusqu'ici !

Nous prenons un moment pour déjeuner avant de nous lancer dans la longue descente du glacier du Tödi d'abord orienté au Sud Est puis au Nord Est.  Il y a tellement d'accumulation de neige  fraiche par endroit sur le glacier que  nous peinons à avancer. Le glacier lui même est particulièrement tourmenté. Nous  zigzagons au milieu de séracs  et de crevasses impressionants puis  retrouvons quelques belles pentes de poudreuse bien raides  en fin de descente après  la chute du glacier. Nous traversons  la morraine pour  remonter vers Fridolin Hütte que nous atteignons vers 16H après une extraordinaire journée en haute montagne. 

Il y a un peu de monde àau refuge.   Nous n'y sommes plus habitués et cela nous dérange presque. Tous les groupes partent heureusement le lendemain pour la voie normale du Piz Russein qui a été notre voie de descente d'aujourd'hui. Nous  sommes décidément atypiques et  serons seuls demain sur notre itinéraire qui part dans l'autre direcion ! Nous continuons vers l'Est pour poursuivre  notre traversée et terminer notre  GTA7

 

J7 : Fridolin Hütte - Claridden Hütte - Linthal (D+ 1100; D- 2300)

Nous quittons Friedolin Hütte au petit matin  vers 7H. La parfum de ce départ est particulier car c'est celui de la dernière étape de notre GTA7, emprunt d'un grand plaisir mais aussi de nostalgie déjà. Elle est étrange cette sensation ambivalente à la fois d'apirer à terminer notre raid  tout en regrettant au même instant qu'il ne se  prolonge pas pour nous permettre de rester un peu plus longtemps encore la haut pour faire encore une danse avec les sommets.   L'itinéraire  d'aujourd'hui semble magnifique, au soleil dès le matin  d'abord sur un balcon ascendant avant de redescendre sous la face Est  du Tödi puis remonter jusqu' au Geissbutzistock et  redescendre sur la cabane de Claridden et beaucoup plus loin vers la vallée de Linthal. ou se terminera notre GTA7. 

J5 1 45 2J7 1J7 1 4 2J7 1 6

 

 

 

 

 

La montée vers Begglilucke en plein soleil puis vers le Geissbutzistock, petit sommet entre Claridden et le Piz Russein est  belle et nous offre des vues très interessantes sur la suite de notre itinéraire pour l'année prochaine. Nous sommes seuls aujourd'hui encore dans ce décor de cinéma. Nous nous offrons quelques belles séquences de poudreuse à la montée comme à la descente .

J7 1 7J7 1 10J7 1 11 2J7 1 12

 

 

 

 

 

Nous profitons  du   dernier sommet de notre raid  pour faire quelques photos et admirer depuis notre belvédaire le cirque glacière de Claridden autour de nous. Nous nous lançons après dans la descente vers la fin de notre raid 2021. Nous avons plus de 2000m de descente  et 12km pour 'arriver jusqu'à Linthal. La question qui nous poréoccupe  est de savoir jusqu'à quelle altitude nous allons trouver de la neige pour descendre à ski et donc combien de temps nous allons mettre pour redescendre dans la vallée.  La descente elle même est  magnifique,  d'abord jusqu'à Claridden hütte sur des pentes de neiges immaculées orientées vers l'Est , puis  nous plongons  sur la  moraine  du glacier de Claridden  sous le refuge, dans lequel nous trouvons une poudreuse de rêve pour la dernière fois de notre traversée.  Nous dessinons  nos dernières sinusoides parallèles malgré la fatigue qui commence à s'accumuler. Elles sont moins régulières qu'il y a quelques jours. 

Après avoir traversé une énorme coulée d' avalanche au pied de la morraine vers 1700m, nous bifurquons à flan sur une sorte de plateau balcon bucolique et encore bien enneigé qui domine  la vallée de Linthal . Quelle belle ambiance de fin de raid ! Le bon enneigement nous permet de filer à grande vitesse jusqu' à  l'altitude de 1100m environ au moment de la rupture de pente.  Nous trouvons alors par chance un couloir d'avalanche bien rempli qui nous permet de descendre dans la neige pratiquement jusqu'au fond de la vallée  à 850m d'altitude.  

J7 1 13 2J7 1 16J7 1 17J7 1 18

 

 

 

 

 

Nous devons nous dépècher pour arriver à l'heure à la gare de Linthal, 4km plus loin. Bravo Thierry et Nicolas pour le footing en chaussures du ski ! JL lui parvient à se faire prendre en stop sur la route. Nous réussissons à attraper notre train vers Zurich, Bern puis Brig ou nous récupérons notre voiture.  

Nous nous asseyons tous les 3 dans le train pour Zurich, ivres de fatigue et de soleil, encore éblouis par la beauté et l'engagement de cette traversée exceptionnelle, fiers d'avoir réalisé un tel raid  ensemble, en dépit des éléments, des difficultés et de  toutes les raisons qui pourraient justifier de ne pas le faire ou de le faire différemment. Merveilleuse GTA. 

Vive la GTA 7 ! Vivement la GTA 8 en 2022 vers l'Engadine et  la Bernina ! 

 

Ajouter un commentaire