En 2019, nous avions été forcés d'écourter la GTA6 à cause de conditions météo difficiles. En 2020 nous avions du annuler notre étape pour cause de COVID et de confinement forcé. C'est peu dire que nous étions particulièrement déterminés et motivés pour reprendre notre Grande Traversée des Alpes en 2021, même au prix de quelques contorsions et arrangements avec les règles, tests , attestations et autres quarantaines. Nous avons finalement réussi à passer entre les gouttes des mesures sanitaires et à partir pour notre GTA7, presque incrédules de pouvoir reprendre notre aventure là ou nous l'avions interrompue il y a 2 ans , non loin des sources du Rhone à quelques enjambées du col du Saint Gothard.
C'est donc à trois que nous nous sommes engagés dans la 7ième étape de la GTA car Antoine avait décidé de ne pas être de l'aventure cette année .... Le point de ralliement avait été fixé comme à l'accoutumée chez Jean Luc à Saint Gervais au pied du Mont Blanc pour nous permettre de terminer les préparatifs et se mettre doucement dans l'ambiance de notre raid : ajustements des itinéraires, traces GPX, trains, refuges, bouffe, matériel, finalisation des sacs, répartition.
A la veille du départ, le moral est haut et l'excitation bien présente malgré les prévisions météo moyennes et la lourdeur des sacs qui accusent plus de 17Kg chacun à la pesée. C'est lourd sur les épaules et c'est encore plus lourd dans la tête juste avant de se mettre en marche! Les étapes nous paraissent tout d'un coup bien ambitieuses .... et nous regrettons presque silencieusement d'avoir prévu autant de dénivellée, autant de nuits dans des cabanes non gardées, autant de sommets, d'avoir à porter autant de gaz, de bouffe , de matériel .... dilemne entre l'inconfort et l'engagement , entre l'effort et la facilité , entre l'autonomie et le poid des sacs. Où est la source profonde de notre motivation ? de notre désir d'accomplissement? de notre plaisir ? quelle est notre recherche ? Que voulons nous conquérir ? nous prouver ? A quel prix ? Notre amour de la montagne nous questionne, empreint de ses paradoxes sans réponse.
Nous parlons de tout cela au petit matin dans la voiture qui nous emmène de Saint Gervais vers Brig puis dans le Matterhorn-Gothartd bahn vers Realp. Discussions légères en apparence mais beaucoup plus profondes qu'elles n'en ont l'air pour nous trois qui appartenons depuis près de cinquante ans à la famille si particulière des conquérants de l'inutile ! Merci Monsieur Lionel Terray ...
J1 : Gare de Realp - Rotondo Hütte (D+1100; D-0)
Le temps est gris quand on arrive à la gare de Realp. Nous sommes seuls à descendre du train dans ce tout petit village désert et sans charme. On s'engage sur la route du Furkapass vers l'ouest avec nos skis sur le dos. On sent l'odeur de la neige de printemps. Les chaussures de ski claquent à chaque pas sur le bitume froid jusqu'à ce que la route vienne s'épuiser sur une congère de neige faconnée par un chasse neige en bout de course. C'est le moment de lever les yeux, poser les sacs, mettre nos peaux de phoque et chausser nos skis. La GTA7 peut commencer.
Notre itinéraire s'élève vers le sud dans un large vallon qui se confond avec le ciel gris et les nuages au loin. Quelques flocons invisibles fouettent nos visages et nous rappellent qu'il fait froid. Les pentes sud dégarnies de neige de la vallée vers Hospendal et Andermatt s'éloignent à mesure que nous pénétrons dans le vallon. Les pas sont lents autant que les sacs sont lourds. On devine les reflets de vieilles traces mal recouvertes par la neige fraîche tombée dans la journée. Nous sommes seuls dans cette immensité blanche et le silence est presque envahissant comme il le serait dans une chambre sourde. L'atmosphère est étrange, presque triste. Les éclaircies alternent avec le mauvais temps qui arrive par le sud. La pente se redresse de plus en plus.
L'arrivée vers le refuge Rotondo se fait au bénéfice d'une éclaircie dans le ciel gris (photo de droite). Nous essayons de mémoriser au loin les pentes complexes que nous devons gravir demain vers le Pizzo Lucendro et le col du Saint Gothard. Très difficile de se rendre compte de l'échelle du relief par un temps pareil. Il neige à gros flocons et le froid pince quand nous poussons la porte du refuge à 2600m. Il fait chaud dans la cabane . C'est une bonne surprise car la gardienne avait prévu de redescendre pour les 2 jours à venir car tous les visiteurs avaient annulé à cause des conditions météo .... sauf nous 3. Mais elle s'est finalement ravisée. La soirée sera douce et le premier dîner sera copieux. C'est donc une entrée en matière confortable pour notre GTA7.
J2 : Rotondo Hütte - Vermigel Hütte (D+1100 D-1400)
Réveil vers 6H après une bonne première nuit en altitude. Le temps est franchement mauvais au petit matin. Tout est blanc dehors. Il neige. Trente bons centimètres se sont accumulés pendant la nuit, la visibilité est presque nulle et la nivologie incertaine. L'itinéraire prévu aujourd'hui est ambitieux pour un début de raid avec 4 cols à passer, un relief complexe et 1800m de dénivellée positive pour atteindre la cabane de Vermigel.
Il fait vraiment très froid dehors lorsque nous sortons les skis. Le métal des fixations colle à la peau; nos traces d'hier ont totalement disparu et dès les premiers mètres, nous comprenons que l'orientation va être compliquée. Nous devons commencer par descendre au fond du grand cirque de Rotondo avant de longer des barres rocheuses pour attraper une épaule vers le Pizzo Lucendro. Notre trio se met en ordre de marche : un éclaireur pour ouvrir la route, un suiveur pour pointer l'azimuth à la boussole et le troisième qui ferme la marche en charge de la trace GPS pour s'assurer que nous ne nous écartons pas. Le premier ne sait jamais trop si il monte ou bien descend, s'il est devant une barre rocheuse , un trou ou une forte pente. Il tatonne. Il essaye. Il tombe parfois. Nous mettons plus d'1H à descendre les tout petits 200m qui nous permettent de rejoindre les pentes vers le Pizzo Lucendro. Cela aurait du nous prendre 10mn !!
Lorsque nous dévons mettre les peaux pour commencer l'ascension, il est déjà presque 9H et notre belle confiance du réveil s'est soudain envolée. La couche de neige fraîche est épaisse et instable, on ne voit pas à 20m et nous savons sans se le dire que l'itinéraire devant nous est délicat, trop long et trop technique pour réussir à traverser dans ces conditions. Il ne nous faut que peu de temps pour décider ensemble de bouleverser l'itinéraire de J2 . Nous allons contourner tous les cols et sommets prévus aujourd'hui par des longs vallons versant nord pour espérer atteindre le refuge ce soir en passant par le village de Andermatt.
Au moment de rechausser, Jean Luc s'aperçoit qu'un de ses ski Dynastar Mythic est gravement endommagé au niveau de la fixation arrière. Probablement le saut involontaire un peu violent d'une petite barre rocheuse en plein brouillard tout a l'heure dans la descente ... le ski a fait levier et il s'est cassé. Les ennuis s'accumulent! Impossible de continuer ainsi. Il faut descendre, rejoindre puis suivre la vallée vers l'Hospendal pour espérer trouver une solution .... Nous nous dépéchons et optimisons nos efforts en skiant tant qu'on le peut sur la route recouverte de neige
L'arrivée à Andermatt nous donne l'impression de pénétrer dans un village fantôme, déserté pour cause de pandémie et aussi ankilosé par le froid. Pas très fun ! Impossible de trouver un coin pour boire même un café ! Par miracle, nous trouvons des skis de rando raid disponible pour JL dans le seul magasin de montagne du village ouvert que nous a indiqué l'office du tourisme. Il faut quelques minutes de discussion pour réveiller le magasin de sa torpeur, il faut une bonne demi-heure pour réussir à acheter les skis à un prix raisonnable, faire réinstaller les LowTech sur les nouveaux skis sans attendre ... une semaine, et pour réajuster les peaux ....
Nous sommes prêts vers 13H à repartir pour essayer d'atteindre Vermigel Hütte avant la nuit. Le vallon Unteralp d'apparence débonnaire est plein de surprise. Il nous faut monter rive gauche, redescendre le long du torrent, contourner d'énormes couloirs d'avalanche, traverser Rive Droite, éviter des gorges, s'orienter. la méteo ne s'améliore pas du tout. Les rochers apparents semblent disproportionnés dans ce vallon immense sans trace ni repère. Plusieurs fois, nous rebroussons chemin devant l'exposition de la pente ou des traces de coulées toute récentes peu engageantes. Nous mettrons près de 5H (!) depuis Andermatt pour parvenir à Vermigel Hütte, située sur un bastion rocheux d'accès compliqué dans un grand cirque que nous sommes obligé de contourner. La visibilité est nulle. On zigzague entre les rochers dans des pentes exposées. Même avec un GPS et une trace préparée avec précaution, l'orientation est assez difficile! Nous entrons dans le refuge vers 18H après une journée longue et mouvementée. C'est un vrai soulagement de poser nos sacs dans l'entrée du refuge.
La cabane de Vermigel, non gardée, est particulièrement bien ordonnée et confortable. Le bois est parfaitement coupé et rangé , le refuge est parfaitement propre, les tabourets sont sur les tables comme dans les maisons propres, les ustensiles de cuisine sont parfaitement rangés ! Nous sentons que nous sommes en Suisse profonde avec ce que cela représente de séduisant et mais aussi d'étrange tellement chaque chose est à sa place. Le poele nous permet de rapidement remonter la température du refuge au dessus de 12°C dans la pièce principale et de faire chauffer autant d'eau que nous le voulons. Un vrai réconfort après notre longue journée dans le blizzard. Au menu ce soir soupe, coquillettes et compote. Un festin ! La meteo s'annonce meilleure à partir de demain !
J3 Vermigel Hütte - Camona di Maighels (D+ 1300; D-1100)
Levé 6H, départ 7H30. Le temps est encore instable au petit matin mais on distingue les sommets autour du refuge à travers la brume , notamment le magestueux pizzo centrale d'où nous aurions du descendre hier. Nous prenons notre temps pour nous préparer, ranger le refuge, petit déjeuner et attendre les éclaircies annoncées. Avec de la visibilité, on comprend mieux la complexité du relief autour du refuge. Les pentes ont été saupoudrées de quelques cm de neige fraiche pendant la nuit mais les bourrelets de nos traces d'hier sont encore perceptibles.
L'étape d'aujourd'hui est relativement courte en distance et en dénivellée, avec de belles ascensions et pas mal d'options possible en fonction des conditions que nous allons rencontrer et de notre forme. Nous partons plein Est vers Maighels pass et le Piz Alv, 600m au dessus du refuge dans une belle ambiance de cache cache entre le soleil, les sommets et la brume. Les immensités de neige vierge autour de nous sont particulièrement esthétiques. Nicolas fait la trace dans une traversée délicate pour arriver à un premier col, Thierry le relaie pour parvenir à un deuxième qui nous permet de prendre pied sur le glacier de Maighels.
Les nuages reviennent lorsque nous traversons le glacier et nous engageons dans la pente soutenue qui nous permet d'arriver de l'autre coté d'un éperon sur le glacier de Ravetsh (en bas à gauche). La neige se remet à tomber. Le froid intense est amplifié par le vent incessant . Difficile de s'habiller correctement dans ces conditions changeantes. Il nous reste à gravir 400m soutenus de pente sommitale pour atteindre la croix du pic Ravetsh. L'eau dans les gourdes est gelée. On laisse les skis 100m sous la crête et terminons l'ascension à pied dans le raide couloir sommital vers le sommet (en bas à droite).
`La crête très aérienne marque symboliquement la frontière entre le Nord et le Sud, le canton de Uri et le canton des Grisons. La vue depuis sommet s'ouvre dans toutes les directions. A l'ouest et au Sud, on devine les massifs que nous avons traversés lors des GTA5 et GTA6, vers l'Est et le Nord , on distingue la suite de notre aventure de la GTA7 et nous projetons vers les suivantes. Le ciel est clair au sommet du Piz Ravetsch et pour la première fois depuis le départ de la GTA7, nous faisons le lien visuel entre toutes nos années de traversée. Quel plaisir de visualiser cette aventure. Quelle joie profonde de vivre et partager cette GTA !
Il nous faut désormais descendre plein Nord sur le glacier de Maighels puis dans l'immense vallon qui lui succède pour arriver 6 ou 7 km plus loin vers notre refuge, la Camona di Maighels. Le ciel bleu enfin retrouvé après presque 3 jours de brouillard nous donne des ailes pour glisser dans cette vallée ouverte où l'esprit s'envole. Nous dessinons nos premières sinusoides de la traversée avant que la pente ne s'adoucisse et nous oblige à remettre les peaux de phoque. L'arrivée au refuge nous replonge dans la civilisation. Plusieurs groupes du club alpin suisse arrivés tout juste de la vallée, séjournent au refuge dans le cadre de stages de formation. Ils nous rappellent soudain qu'il y a des règles COVID à respecter aussi dans les refuges. La jauge d'occupation est de 50% et le port du masque est thèoriquement obligatoire.
J4 : Camona di Maighels - Camona di Cavardiras (D+ 1600 D- 1200)
Il est tombé 10cm de neige fraîche au cours de la nuit comme si une main divine avait voulu préparer notre départ et effacer toute trace sur notre route. Nous sommes les premiers à quitter le refuge dans le froid du matin pour descendre vers l'Oberalppass et le village de Tschamut. Nous avons l'impression d'être seuls au monde pour cette belle descente jusqu'au fond de la vallée de Disentis Muster (Photo ci dessous au milieu) . Notre arrivée dans cette vallée est forte symboliquement dans la logique de notre Grande Traversée des Alpes car l'Oberalpass représente la ligne de partage des eaux entre le bassin du Rhone et le bassin du Rhin. La vallée du Rhin s'enfonce ensuite plein Est vers Chur (Coire) et plus loin l'Engadine et l'Autriche ou nous continuerons notre traversée les prochaines années.
Après être arrivé au pied de l'Oberalpass, il nous faut longer la vallée jusqu'à la petite station de Sedrun (1300m) puis nous engager plein Nord dans le majestueux val Strem à remonter dans son intégralité (près de 1900m de D+ ). Nous remettons les peaux puis entamons à pas lents notre longue marche dans le vallon qui doit nous mener jusqu'au sommet de l'Oberalpstock. Nous sommes partis tôt ce matin du refuge la fatigue s'est accumulée au cours des jours passés, et tout d'un coup malgré la beauté du cadre nos jambes nous paraissent subitement bien lourdes, ce vallon bien austère, le sommet à gravir si éloigné et si haut. Le soleil cogne dans ce vallon orienté au sud . Les sacs pèsent sur nos épaules et dans nos têtes. Dans ces moments, il faut surtout ne pas trop réfléchir ni gamberger; juste mettre un pas devant l'autre, ne pas écouter la petite voix qui doute et simplement s'accrocher au cher compagnon devant qui semble lui beaucoup moins souffrir ; continuer à avancer , pas après pas, et attendre patiemment le moment, plus tard ou l'esprit et le corps s'accorderont à nouveau dans un sourire.
Vers l'altitude de 2000, nous quittons le fond du vallon pour bifurquer dans les pentes raides vers l'Est au milieu des barres pour atteindre une brèche puis le sommet de l'Oberalpstock (photo du milieu D ci dessous). Nous devons nous employer pour trouver l'itinéraire et venir à bout de ce passage un peu délicat.
Nous ne sommes pas rapides aujourd'hui. Vers 14H, après une courte pause pour déjeuner en plein soleil nous prenons l'option d'éviter le sommet et de passer par une brêche vers 3000 qui nous fera déboucher directement sur le plateau de l'Oberalp Gletscher. La pente sommitale est raide dans une neige qui se dérobe sous nos skis (ci dessus à D)
L'arrivée à la brêche est grandiose (ci dessous à G) et ouvre nos regards vers l'Oberalp Gletscher totalement vierge (ci dessus à D). Cette immensité sans une seule trace est impressionnate (video ci dessous). Dans les premières pentes du glacier, nos traces dessinent de belles arabesques sur le glacier immaculé.
A l'autre bout du glacier, que nous devons traverser , on distigue la cabane de Cavardiras sur un petit promontoire ou nous allons dormir ce soir. Au loin vers l'Est, on distingue le majestueux Piz Russein Tödi où nous serons dans 2 jours. L'épaisseur de neige fraîche est telle que la traversée du plateau glacière nous demande pas mal d'effort. Nicolas fait la trace pour terminer notre longue journée (Photo ci dessous à G ). Après une courte montée finale, nous parvenons à la petite cabane vers 18H après une longue, belle et rude journée en montagne. Le temps s'est à nouveau couvert.
La fatigue se fait subtement sentir lorque nous poussons la porte du petit refuge. Le refuge est situé dans un lieu totalement magique surplombant à l'Est le val Cavardiras et les sommets du Tödi et à l'Ouest l'Oberalp Gletscher que nous avons traversé. Il ne semble pas avoir reçu de visite depuis plusieurs jours car il fait vraiment froid à l'intérieur. Seules 2 pièces sont ouvertes en hiver. Nous cherchons du bois pour allumer le petit poele qui peine à réchauffer la pièce. Il nous faudra pas mal de temps pour dépasser 10°C à l'intérieur. Au 1er étage, le dortoir restera lui largement en dessous de 0°C. Dehors la température est inférieure à -20°C. Nous mettons tout de suite de l'eau à chauffer sur le réchaud pour nous hydrater largement avec du thé et de la soupe après cette longue étape exigente et préparons notre repas à la lueur des bougies.
Nous sommes au coeur de notre raid, seuls, isolés, emmitoufflés dans la torpeur de la petite cabane de cavardiras à 2700m d'altitude, assaillie par le froid et la neige qui s'est remise à tomber. Nous ressentons tous les 3 ce plaisir si particulier aux alpinistes d'être à la fois fourbus de nos efforts et étourdis de Montagne avec un grand M, émerveillés de tant d'espace, de liberté, de beauté et d'émotions intenses accumulées pendant la journée. Il est temps d'aller se reposer et rêver un peu dans un sommeil récupérateur. Thierry décide de dormir sur un banc dans la pièce principale pour profiter de la douceur du poele. Nicolas et Jean-Luc préfèrent eux les matelas mais aussi le froid du dortoir.
J5 : Camona di Cavardiras - Planura Hütte (D+ 1600; D- 1300)
Au réveil, il fait toujours très froid mais le petit refuge est déjà baigné de soleil. L'endroit est majestueux dans la lumière rasante du matin. La nuit a été bonne. Nous petit déjeunons rapidement, chacun avec nos habitudes, remplissons les gourdes d'eau de fonte, rangeons le refuge et préparons nos sacs qui commencent à s'alléger au fil des jours. Un peu de ménage avant de partir pour ne pas laisser de mauvaise impression des français de passage et casser quelques clichés tenaces. Nous prenons le temps d'une photo ensemble devant l'Oberalpstock avant de quitter ce lieu magique et de s'engager dans le vallon de Cavardiras vers l'Est. Toutes les pentes sont vierges autour de nous. Même nos traces d'hier ont été effacées pas le vent et la neige tombée pendant la nuit. L'environnement ce matin est tout simplement époustouflant au moment de quitter le refuge et de plonger vers le vallon (Photo ci dessous)
La descente du vallon de Cavardiras au petit matin de J5 est un moment extraordinaire. Cette séquence restera pour nous un moment d'anthologie dans la bibliothèque de nos souvenirs de skieurs de montagne : des paysages époustouflants , une solitude absolue, une neige de rêve, une lumlière rasante qui fait scintiller la neige et souligne les reliefs, des pentes totalement vierges ....
Nous faisons bien sûr des photos et quelques videos au cours de cette descente extraordianire. Ces prises d'images donnent lieu a un échange animé entre nous pendant la descente sur l'opportunité ou non de se contraindre pour faire des images dans de tels moments. A quoi bon ? L'essentiel n'est il pas de vivre ces instants dans leur plénitude, de les goûter tout simplement et complètement ? sans s'obliger à faire des photos. Cela fait il du sens d'accepter de se contraindre pour ramener des images? Pouquoi vouloir fixer artificiellement ces moments qui seront de toute façon travestis par l'image ? La question posée en filigrane derrière ce débat est intéressante. C'est celle du rôle dénaturant de l'image en tant que perturbateur de comportement et d'émotions à la prise de vue et en tant que biais de souvenirs et de communication à la restitution. Le débat reste ouvert .....
Vers le bas du vallon, la neige devient plus difficile et nous devons négocier un passage délicat pour traverser au nord et rejoindre sans trop redescendre l'Alp de Cavein, jonction entre le vallon de Cavardiras et le vallon de Cavein ou nous devons nous engager. Nous remettons les peaux, et repartons pour 1100M de D+ dans ce beau et long vallon jusqu'à la Puorta de Cavein. L'atmosphère est particulièrement paisible en ce milieu de matinée. Les conditions sont bonnes, la neige en versant sud porte bien et la montée s'engage facilement. Les nuages gagnent progressivement du terrain. Nous nous relayons pour faire la trace jusqu' à la brèche avant de basculer versant nord dans l'immense cirque glacière du massif de Claridden.
Le passage de la Puorta de Cavein est un peu délicat et nous sommes obligés de poser un rappel pour descendre sur le glacier de Hufiifirn sur le versant Nord. L'ambiance est très aerienne vers le Piz Git avec la brume qui va et vient le long du sommet en s'engouffrant pour emplir le bassin du glacier. Lorsque nous mettons le pied sur le glacier, les quantités de neige accumulées sont impressionnantes et il nous faut pas mal de précautions pour éviter de faire partir des coulées.
Nous devons remonter d'abord le glacier de Hufifirn vers la Fuorca di Cambrialas. Grâce à quelques trouées dans les nuages nous nous faisons une idée de la topographie du lieu et de la belle ambiance de ce cirque glacière immense (Photo ci dessus au milieu à D) . Le répis est de courte durée et les nuages qui reviennent rapidement nous contraignent à naviguer au GPS dans le brouillard pour trouver le passage permettant de basculer sur le glacier de Claridden.
Il faut d'abord descendre sur une épaule de neige jusqu'au bas du glacier puis remonter vers le sud jusqu'au nid d'aigle de Planura Hütte. Cette montée de plus de 400m de D+ nous semble ardue à la fin de cette longue journée. Encore une fois, il nous faut faire la trace dans cette pente soutenue où les accumulation de neige sont énormes. Il faut rester très attentifs pour éviter les seracs et garder le cap vers le refuge. Nous arrivons à la cabane perchée sur son arête à 3000m dans des conditions hivernales froides et difficiles.
La journée de J5 depuis Cavardiras a été absolument extraordinaire de beauté, de variété et d'engagement mais aussi longue et éprouvante à cause de la nature du terrain, de la tension et des changements de temps. Nous sommes heureux de trouver de la place et un repas à Planura Hütte où nous n'avions pas réservé. L'ambiance y est résolument montagne. Nous sommes contents de croiser 2 autres cordées qui comme nous partent demain pour le Piz Russein : l'une par la face Ouest glacière en crampons piolets skis sur le sac, l'autre par la même voie que nous plus longue et plus skiante qui contourne le massif par l'ouest pour atteindre le sommet par le sud. Nous ferons la course ensemble demain !
J6 : Planura Hütte - Fridolin Hütte (D+ 1900; D- 2700)
Le réveil sonne à 4H30. La vue depuis Planura Hütte au réveil vers le levant est particulièrement belle. Les couleurs pastels du ciel et de la neige se confondent dans l'horizon. Le froid est intense. Nous partons pour une très grande journée. Hier soir, avec la fatigue de l'itinéraire de la veille, nous avions un instant hésité à nous lancer dans cette course compte tenu de sa longueur : 3 cols, 1900m de dénivellée, de très longues descentes, des passages un peu techniques ....le tout avec nos gros sacs sur le dos ! L'envie avait été plus forte, l'effet d'entrainement du groupe aussi.
Le départ depuis le refuge est somptueux et les doutes de la veille ont complètement disparu. Nous passons d'abord un collet pour descendre sur le glacier de Sanfirn, remontons ensuite vers le Sandpass d'ou la vue sur face Nord du Piz Russein Tödi est impressionnante avant de plonger 1000m plus bas tout au fond du val Gronda di Russein pour contourner notre objectif par l'ouest. On voit au sud du vallon les premiers pics commencer à s'allumer avec le soleil au moment où nous plongeons dans le val Gronde di Russein. Beaucoup d'ambiance en ce début de journée !
La longue descente vers le val di Gronda Russein est raide et physique dans une neige difficile. Elle nous cueille à froid et fait mal aux jambes. L'ambiance est austère. Attention à ne pas se blesser. Après les premiers 500m de descente, la pente devient plus raisonnable et nous filons à grande vitesse vers le fond du vallon sur la neige gelée. Nous avons hâte d'en découdre avec l'ascension, et de nous élever vers le soleil.
Après avoir traversé une grosse coulée d'avalanche dans le fond du vallon, on met les peaux au point 1960 et traçons directement sur un raide éperon neigeux en direction du glacier de Gliems 1200 m plus haut. Les couteaux mordent bien dans la neige durcie par le gèle. Il est encore tôt et nous marchons bien. Nous profitons de la belle trace faite par nos 3 compagnons de refuge parti 1/4 d'H avant nous. Ils sont un peu plus rapide. Leurs sacs sont aussi moins lourds ! Les premiers rayons du soleil nous parviennent lorsque nous arrivons sous la première brèche. L'envie de les toucher du doigt et de sentir leur chaleur nous fait faire un petit détour avant la brêche. Ils nous caressent délicieusement après les heures d'ombre et de froid depuis notre départ du refuge.
Cela fait 3H que nous avons quitté Planura Hütte. Les vues vers l'ouest et au sud sont assez grandioses. Petite pause au soleil en arrivant à la première brèche avant de basculer sur le glacier de Gliems que nous allons désormais remonter jusqu'à la Puorta de Gliems 250m au dessus de nous. Malgré la dénivellée qui commence à s'accumuler, nous marchons bien.
Notre trace de montée dessine des Z particulièrement esthétiques sur le glacier de Gliems le long de l'éperon qui descent du Piz Ulv dans une ambiance très alpine. Arrivés au pied de la Puorta de Gliems, nous devons mettre les skis sur le sac et nous équiper pour gravir le raide couloir terminal vers la brèche. En été, je crois qu'il y a des cables et des échelles pour passer cet endroit vertigineux (Photo ci dessous milieu D). Nous sommes seuls dans ce décor extraordinaire !
L'arrivée à la brèche est somptueuse. Les nuages qui vont et viennent du nord au sud à travers la petit brèche ajoute une touche de mystère à l'ambiance particulièrement aérienne de ce lieu. De l'autre coté, nous basculons vers l'immense et majestueux glacier qui descend du Piz Russein. Nous enlevons les crampons et remettons les skis juste après le col pour rejoindre 200m plus bas le glacier du Tödi. Il nous reste désormais à gravir la pente terminale vers le sommet, 600m d'ascension facile (photo ci dessous à G). La trace bien marquée navigue entre les séracs du glacier jusqu'à la crête sommitale qui nous mène facilement jusque sous le sommet que nous gravissons à pied.
Il est à peine midi lorsque nous arrivons au sommet du Piz Russein Tödi, point culminant de notre GTA7. Nous sommes seuls au sommet. Nous repérons les traces de nos compagnons d'hier soir qui ont débouché de la face Ouest. La vue depuis le sommet est très belle malgré la lumière écrasante de midi et s'étend de l'Oberland à la Bernina. On voit tout en bas de la face Nord impressionnante la petite cabane de Planura Hütte dans laquelle nous avons dormi hier soir , perchée sur son improbable arête. Quel tour magistral pour arriver jusqu'ici !
Nous prenons un moment pour déjeuner avant de nous lancer dans la longue descente du glacier du Tödi d'abord orienté au Sud Est puis au Nord Est. Il y a tellement d'accumulation de neige fraiche par endroit sur le glacier que nous peinons à avancer. Le glacier lui même est particulièrement tourmenté. Nous zigzagons au milieu de séracs et de crevasses impressionants puis retrouvons quelques belles pentes de poudreuse bien raides en fin de descente après la chute du glacier. Nous traversons la morraine pour remonter vers Fridolin Hütte que nous atteignons vers 16H après une extraordinaire journée en haute montagne.
Il y a un peu de monde àau refuge. Nous n'y sommes plus habitués et cela nous dérange presque. Tous les groupes partent heureusement le lendemain pour la voie normale du Piz Russein qui a été notre voie de descente d'aujourd'hui. Nous sommes décidément atypiques et serons seuls demain sur notre itinéraire qui part dans l'autre direcion ! Nous continuons vers l'Est pour poursuivre notre traversée et terminer notre GTA7
J7 : Fridolin Hütte - Claridden Hütte - Linthal (D+ 1100; D- 2300)
Nous quittons Friedolin Hütte au petit matin vers 7H. La parfum de ce départ est particulier car c'est celui de la dernière étape de notre GTA7, emprunt d'un grand plaisir mais aussi de nostalgie déjà. Elle est étrange cette sensation ambivalente à la fois d'apirer à terminer notre raid tout en regrettant au même instant qu'il ne se prolonge pas pour nous permettre de rester un peu plus longtemps encore la haut pour faire encore une danse avec les sommets. L'itinéraire d'aujourd'hui semble magnifique, au soleil dès le matin d'abord sur un balcon ascendant avant de redescendre sous la face Est du Tödi puis remonter jusqu' au Geissbutzistock et redescendre sur la cabane de Claridden et beaucoup plus loin vers la vallée de Linthal. ou se terminera notre GTA7.
La montée vers Begglilucke en plein soleil puis vers le Geissbutzistock, petit sommet entre Claridden et le Piz Russein est belle et nous offre des vues très interessantes sur la suite de notre itinéraire pour l'année prochaine. Nous sommes seuls aujourd'hui encore dans ce décor de cinéma. Nous nous offrons quelques belles séquences de poudreuse à la montée comme à la descente .
Nous profitons du dernier sommet de notre raid pour faire quelques photos et admirer depuis notre belvédaire le cirque glacière de Claridden autour de nous. Nous nous lançons après dans la descente vers la fin de notre raid 2021. Nous avons plus de 2000m de descente et 12km pour 'arriver jusqu'à Linthal. La question qui nous poréoccupe est de savoir jusqu'à quelle altitude nous allons trouver de la neige pour descendre à ski et donc combien de temps nous allons mettre pour redescendre dans la vallée. La descente elle même est magnifique, d'abord jusqu'à Claridden hütte sur des pentes de neiges immaculées orientées vers l'Est , puis nous plongons sur la moraine du glacier de Claridden sous le refuge, dans lequel nous trouvons une poudreuse de rêve pour la dernière fois de notre traversée. Nous dessinons nos dernières sinusoides parallèles malgré la fatigue qui commence à s'accumuler. Elles sont moins régulières qu'il y a quelques jours.
Après avoir traversé une énorme coulée d' avalanche au pied de la morraine vers 1700m, nous bifurquons à flan sur une sorte de plateau balcon bucolique et encore bien enneigé qui domine la vallée de Linthal . Quelle belle ambiance de fin de raid ! Le bon enneigement nous permet de filer à grande vitesse jusqu' à l'altitude de 1100m environ au moment de la rupture de pente. Nous trouvons alors par chance un couloir d'avalanche bien rempli qui nous permet de descendre dans la neige pratiquement jusqu'au fond de la vallée à 850m d'altitude.
Nous devons nous dépècher pour arriver à l'heure à la gare de Linthal, 4km plus loin. Bravo Thierry et Nicolas pour le footing en chaussures du ski ! JL lui parvient à se faire prendre en stop sur la route. Nous réussissons à attraper notre train vers Zurich, Bern puis Brig ou nous récupérons notre voiture.
Nous nous asseyons tous les 3 dans le train pour Zurich, ivres de fatigue et de soleil, encore éblouis par la beauté et l'engagement de cette traversée exceptionnelle, fiers d'avoir réalisé un tel raid ensemble, en dépit des éléments, des difficultés et de toutes les raisons qui pourraient justifier de ne pas le faire ou de le faire différemment. Merveilleuse GTA.
Vive la GTA 7 ! Vivement la GTA 8 en 2022 vers l'Engadine et la Bernina !
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